(Le Caire) L’Égypte a remis en liberté Mahmoud Hussein, journaliste de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera en détention préventive depuis décembre 2016, soupçonné de « diffusion de fausses informations », a indiqué vendredi à l’AFP une source sécuritaire.

Le journaliste égyptien, âgé de 54 ans, a été libéré jeudi soir, a précisé cette source, sans autre détail.

La chaîne de télévision n’a pas confirmé dans l’immédiat cette déclaration. Elle avait dénoncé à maintes reprises le fait qu’il était détenu sans inculpation formelle, sans procès et sans condamnation et affirmait en décembre qu’il « souffrait, physiquement et mentalement, de cet emprisonnement arbitraire ».

Égyptien travaillant comme producteur au siège d’Al-Jazeera à Doha, il avait été arrêté trois jours après son arrivée en Égypte où il s’était rendu pour des vacances en famille.

Gamal Eid, président de l’ONG Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme (ANHRI), a indiqué à l’AFP que les autorités avaient décidé de libérer M. Hussein mais qu’il n’était « pas encore rentré chez lui ».

L’ONG Observatoire égyptien pour le journalisme et les médias a fait savoir sur Facebook que le tribunal pénal du Caire avait décidé lundi de remettre en liberté celui qui était soupçonné « d’incitation à la sédition contre l’État » et de « diffusion de fausses informations ».

Un tribunal avait ordonné la libération conditionnelle du journaliste en mai 2019 mais, une semaine plus tard, il avait été frappé d’une autre série d’accusations et maintenu en détention.

L’annonce vendredi de sa libération intervient peu après la reprise officielle le 20 janvier des relations diplomatiques entre Le Caire et Doha, dans le cadre de la réconciliation scellée en début de mois entre le Qatar et quatre pays arabes.

Réchauffement diplomatique

L’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn avaient rompu en juin 2017 leurs relations avec le Qatar, accusé de soutenir les Frères musulmans, qualifiés d’organisation « terroriste » par Le Caire.

Pour Andreas Krieg, professeur assistant au King’s College de Londres, cette libération pourrait être un « signe de bonne volonté du Caire envers Al-Jazeera », qui reste « le plus important écueil dans sa relation avec le Qatar ».

Al-Jazeera, considérée notamment comme un relais médiatique des Frères musulmans, s’est retrouvée en porte-à-faux lorsque les tensions se sont cristallisées entre l’Égypte et le Qatar après l’éviction en 2013 par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans.

Le Caire interdit l’accès au site internet de la chaîne depuis 2017.

Des analystes interrogés par l’AFP peinaient vendredi à déterminer les raisons de cette libération, et un éventuel lien avec le réchauffement diplomatique.

« C’est peut-être un hasard complet de calendrier », a relevé David Roberts, professeur assistant au King’s College à Londres. « Mais ce ne serait pas surprenant si le gouvernement égyptien cherchait à lever les obstacles pour de plus importants investissements qataris », a-t-il ajouté.

Une hypothèse économique également évoquée par Tobias Borck, analyste du Royal United Services Institute, qui rappelle que les relations d’affaires n’avaient néanmoins pas complètement cessé. Comme l’illustre l’ouverture au Caire le lendemain du sommet de réconciliation d’un hôtel de luxe à un milliard de dollars financé par une société qatarie.

Mais « il s’agit davantage [pour l’Égypte] d’assainir un peu son terrible bilan en matière de droits de l'homme face [au nouveau président américain Joe] Biden », a relevé M. Krieg. « Les nouvelles tonalités et priorités de Washington ont suscité des craintes réelles en Égypte selon lesquelles les États-Unis allaient couper leurs relations », a-t-il ajouté.

Selon l’analyste égyptien Amr El-Shobaki, la libération de Mahmoud Hussein est peut-être liée à des discussions entre mondes politique et médiatique pour examiner le cas de prisonniers détenus dans des affaires de liberté d’expression, en particulier avec l’arrivée de la nouvelle administration américaine.

Le régime du président Abdel Fattah al-Sissi, qui a succédé à Morsi, est régulièrement accusé par les ONG de museler l’opposition, islamiste comme laïque. Le pays compte environ 60 000 prisonniers politiques, selon des organisations de défense des droits de l'homme.

Le Caire nie systématiquement ces accusations et assure vouloir lutter contre le terrorisme et les risques d’instabilité.