(Le Caire) L’ONU et Amnistie internationale se sont jointes vendredi à une tempête diplomatique contre l’Égypte, condamnant l’arrestation en moins d’une semaine de trois responsables d’une ONG locale de défense des droits de l'homme, après une rencontre entre celle-ci et plusieurs diplomates étrangers.

Depuis dimanche, les autorités ont arrêté trois cadres de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR) : Mohamed Bachir, Karim Ennarah et Gasser Abdel Razek, après une visite en novembre à son bureau au Caire « d’un nombre d’ambassadeurs et de diplomates », selon l’ONG.

PHOTO TIRÉE DU SITE ISHR.CH

De gauche à droite : Mohamed Bachir, Karim Ennarah et Gasser Abdel Razek

Accusés d’« appartenance à un groupe terroriste », de « diffusion de fausses informations » et d’« atteinte à la sûreté de l’État », les trois hommes ont été placés en détention provisoire pour 15 jours – renouvelables jusqu’à deux ans selon la loi égyptienne –, a indiqué l’EIPR.

Dans un communiqué, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a qualifié ces arrestations d’« évolution inquiétante », craignant qu’elle ne s’inscrive dans un schéma plus large d’intimidation de ce type d’organisations.

« Représailles »

De son côté, Amnistie internationale a dénoncé une « campagne vicieuse de représailles ».

« Ces arrestations, la campagne de diffamation contre l’organisation et l’accusation infondée que l’EIPR opère illégalement montrent que ceci est une attaque bien préparée et concertée », a indiqué l’ONG dans un communiqué.

Ces derniers jours, des titres de presse progouvernementaux avaient publié des articles discréditant l’EIPR et énumérant les chefs d’accusation contre M. Ennarah avant même son arrestation, inquiétant les militants égyptiens des droits de la personne.

Premier diplomate présent au Caire à s’exprimer publiquement, l’ambassadeur irlandais Sean O'Regan a tweeté la « grave préoccupation » de son pays face à ces arrestations, qui ont suivi une rencontre « faisant partie intégrante d’une pratique diplomatique normale ».

Parallèlement, le chef de la diplomatie britannique Dominic Raab « a directement abordé le cas [des trois personnes arrêtées] avec son homologue égyptien », Sameh Choukri, selon le Foreign Office.

L’ambassadeur d’Italie au Caire ainsi que plusieurs de ses homologues ont, eux, adressé une lettre à M. Choukri demandant la libération des membres de l’EIPR, a indiqué l’agence de presse italienne Adnkronos.

Des responsables américains ont également attiré l’attention sur le sort de l’EIPR, qui constitue un « exemple perturbant de la répression » en Égypte, d’après le sénateur Chris Coons, pressenti pour le poste de secrétaire d’État sous Joe Biden.

Jeudi, Washington avait déjà fait part de sa « préoccupation » via le bureau du département d’État responsable des droits de l'homme.

Le président sortant Donald Trump a formé au cours de son mandant une alliance étroite avec son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qu’il a surnommé son « dictateur préféré », mais son successeur Joe Biden a laissé entendre qu’il se montrerait plus ferme sur le respect des droits de la personne.

L’ancienne candidate à la présidentielle Elizabeth Warren a tweeté que ces arrestations étaient « inacceptables ».

Pour l’heure, Le Caire fait profil bas mais son ministère des Affaires étrangères a qualifié d’« ingérence » mercredi la réaction de Paris, qui condamnait la première des arrestations.

Selon des ONG, quelque 60 000 détenus en Égypte sont des prisonniers politiques.  

Depuis la destitution par l’armée en Égypte en 2013 du président islamiste Mohamed Morsi et l’arrivée au pouvoir l’année suivante d’Abdel Fattah al-Sissi, une répression croissante s’est abattue sur toute forme d’opposition, islamiste ou libérale.

En février déjà, un premier membre de l’EIPR, le chercheur Patrick Zaki avait été arrêté pour « terrorisme ». Il demeure depuis en détention.