(Nations unies) Les ingérences et l’envoi d’armes et de combattants étrangers en Libye ont redoublé depuis le sommet international du 19 janvier à Berlin qui était pourtant censé y mettre un coup d’arrêt. Dans le même temps, l’ONU tourne autour d’un projet de résolution sans se mettre d’accord sur un vote.

S’adressant jeudi au Conseil de sécurité, l’émissaire onusien pour la Libye, Ghassan Salamé, a une nouvelle fois exprimé sa « profonde colère et déception » devant l’évolution de la situation depuis la conférence en Allemagne qui avait notamment réuni les dirigeants russe, turc, allemand, français, allemand, britannique et le secrétaire d’État américain Mike Pompeo.

« Les belligérants ont continué de recevoir une quantité considérable d’équipements modernes, de combattants et de conseillers fournis par leurs soutiens étrangers, en violation de l’embargo sur les armes ainsi que des engagements pris par les représentants de ces pays à Berlin », a dénoncé le responsable de l’ONU.

Depuis avril, les forces du maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’Est qui cherche à conquérir Tripoli, sont opposées à celles de Fayez al-Sarraj, chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU. Le maréchal Haftar est soutenu principalement par les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Russie, Fayez al-Sarraj surtout par la Turquie.

Dans la vidéo qui suit, transporteurs de troupes blindés BMC Kirpi turcs roulent après leur déchargement au port de Tripoli. La vidéo a été mise en ligne le 19 mai 2019.

Sans citer de pays fournisseurs, l’émissaire de l’ONU a évoqué des « renforcements militaires » dans les deux camps qui « risquent de relancer le spectre d’un conflit large engloutissant l’ensemble de la région ».

Résolution

« Toutes ces manœuvres […] violent l’esprit et la lettre de la Conférence de Berlin » en faveur d’un cessez-le-feu, s’est insurgé Ghassan Salamé, en réclamant au plus vite une résolution de l’ONU.  

Le Conseil de sécurité discute depuis la semaine dernière d’un texte du Royaume-Uni qui endosse les résultats du sommet de Berlin, réclame un cessez-le-feu, une application stricte de l’embargo sur les armes, exige de tous les États membres qu’ils s’abstiennent d’intervenir dans le conflit et demande au secrétaire général des options pour contrôler une trêve.

Berlin et Londres voulaient une adoption rapide. Washington et Moscou ont cependant renâclé, souhaitant attendre l’exposé de Ghassan Salamé, selon des diplomates. Un éventuel vote pourrait n’intervenir que la semaine prochaine, soit plus de 15 jours après le sommet de Berlin.

En parallèle de ces négociations, des dirigeants africains étaient réunis jeudi à Brazzaville pour appuyer un réglement du conflit en Libye, et l’Algérie s’est proposée pour accueillir un forum de réconciliation.

L’Afrique s’est souvent plainte ces derniers mois de ne pas être impliquée dans le dossier géré principalement par les Occidentaux, la Russie et la Turquie.

La description par Ghassan Salamé des renforts militaires arrivés dans le pays depuis le 19 janvier est édifiante.

Du côté Haftar, la ligne de front à Tripoli a bénéficié « d’armes, d’équipement, d’éléments d’infanterie, incluant des combattants étrangers ». Il y a eu aussi « une augmentation notable de vols cargos-plusieurs par jour-à l’aéroport Benina et sur la base aérienne Al-Khadim dans l’est de la Libye pour fournir des équipements militaires ».

« Parole donnée »

« Dans le même temps, des combattants étrangers sont arrivés par milliers à Tripoli et se sont déployés » auprès des forces du GNA. Encore mardi, des bateaux étrangers, y compris des navires de guerre, ont été vus au large de Tripoli en plus de cargos, a précisé Ghassan Salamé.

Soupçonnée de privilégier Haftar aux dépens de Sarraj, la France a accusé la Turquie d’avoir acheminé mardi par des navires des mercenaires syriens en Libye au profit du GNA, rompant avec sa « parole donnée » à Berlin. Jeudi, une source militaire française a enfoncé le clou en précisant qu’une frégate turque avait été repérée mercredi escortant un cargo acheminant des blindés vers Tripoli où siège le GNA.

Confirmée à Berlin, la création d’une commission militaire conjointe supposée définir les conditions d’un cessez-le-feu durable, avec retrait de positions militaires, reste à concrétiser. Ghassan Salamé a confirmé que sa première réunion à Genève, initialement prévue mardi 28 janvier, ne s’était pas tenue.  

Cette commission est composée de 5 membres représentant Haftar et 5 membres représentant le GNA. Les représentants du maréchal ont fait défaut à Genève, a indiqué l’émissaire, en précisant qu’il se rendrait dans deux jours à Rajma, près de Benghazi, où est situé le QG de Haftar, afin de tenter de débloquer la situation.

Selon l’ONU, depuis la conférence de Berlin, « 110 violations de la trêve » engagée le 12 janvier grâce à l’entremise de la Russie et la Turquie ont été constatées.