(Ouagadougou) Entre « 300 et 350 000 » personnes n’ont pas pu voter dimanche au Burkina Faso en raison de l’insécurité, lors d’élections présidentielle et législatives qui se sont déroulées dans un contexte tendu, dans ce pays en proie à des attaques djihadistes incessantes.

Quelque 6,5 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour ce double scrutin présidentiel et législatif et les bureaux de vote ont fermé à 18 h GMT. Les résultats, dont la compilation devait débuter dimanche soir, sont attendus pour les jours à venir.

Si à Ougadougou le vote s’est déroulé sans encombre, « autour de 300 à 350 000 » personnes n’ont pas pu voter dans les régions en raison des menaces sécuritaires, a déclaré le président de la Commission électorale, Newton Ahmed Barry, à la télévision nationale dimanche soir.

Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015 et qui brigue un second mandat, fait figure de favori. Il est opposé à 12 adversaires, dont Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition, et Eddie Komboïgo, candidat du parti de l’ex-président Blaise Compaoré, dont le régime tombé il y a six ans fait l’objet d’une nostalgie croissante.

PHOTO ZOHRA BENSEMRA, REUTERS

Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015 et qui brigue un second mandat, fait figure de favori.

Dans les zones touchées par les exactions djihadistes, les autorités ont affirmé que des forces de sécurité avaient été déployées pour sécuriser le scrutin, mais aucun chiffre ou détail n’a été donné.

Des ballets d’hélicoptères transportant du matériel électoral, selon les autorités, étaient entendus dimanche soir à Ouagadougou.

« Pas la priorité »

Lors du vote, « des individus ont interdit aux populations de prendre part au vote », avait dit M. Barry plus tôt dimanche. Ils ont « dit à des populations que celui qui plonge son doigt dans l’encre indélébile peut dire adieu à son doigt ».

Début novembre, la Cour constitutionnelle avait constaté que l’élection ne pourrait se tenir sur 17,7 % du territoire, faute d’une présence de l’État, administrative et sécuritaire, suffisante.

PHOTO ZOHRA BENSEMRA, REUTERS

Dans les zones touchées par les exactions djihadistes, les autorités ont affirmé que des forces de sécurité avaient été déployées pour sécuriser le scrutin.

À Arbinda, dans le nord où 35 civils et 7 militaires avaient été tués en décembre 2019, « en tant normal on a cent bureaux de vote mais on a pu (en) ouvrir (seulement) vingt-cinq », selon la CENI.

Et à Tin-Akoff (Oudalan), aucun bureau de vote n’a ouvert, selon M. Barry. Quatorze soldats y avaient été tués dans une embuscade durant la campagne électorale. « Même quand l’armée sécurisait, personne ne voulait y aller. On a eu des difficultés à trouver du personnel qui acceptait de rester dans les bureaux ».

Opposition désunie

Dans certains endroits du nord, « il n’y a pas d’élection, et c’est loin d’être la priorité des populations qui cherchent d’abord à éviter de se faire tuer par une partie ou l’autre du conflit », avait souligné à l’AFP un expert des questions de sécurité dans la région de Dori.

« On attend beaucoup de la sécurité. On sait que ce n’est pas facile mais on aimerait qu’il y ait la paix, qu’il y ait le pardon entre les Burkinabè et qu’on puisse vivre ensemble tranquille », a lui estimé dimanche matin Abdoulaye Koula, électeur de Ouagadougou.

Considérés comme les deux outsiders les plus sérieux, Diabré et Komboïgo, ainsi que quatre autres candidats, ont fait monter la pression samedi en affirmant qu’une « fraude massive » était en préparation.

M. Diabré a jugé « inconcevable » qu’un parti puisse gagner « dès le premier tour ».

M. Kaboré est donné favori face à une opposition qui n’a pas réussi à s’unir, malgré un bilan très critiqué sur le plan de la sécurité par ses détracteurs et les observateurs, qui le taxent d’immobilisme.

Dimanche matin, après avoir voté dans son quartier de Ouagadougou, il a réagi à ces accusations de fraude : « les polémiques, c’est pour un autre jour ».

Les opposants ont annoncé qu’ils s’uniraient derrière celui arrivé en tête pour le deuxième tour, un cas de figure qui n’est encore jamais arrivé au Burkina Faso.

Milices

Pays sahélien, le Burkina Faso vit ses heures les plus sombres depuis l’indépendance de cette ancienne colonie française en 1960, s’enfonçant depuis cinq ans dans une spirale de violences djihadistes et intercommunautaires, associée à une répression souvent violente des forces de sécurité.

Les attaques des groupes djihadistes –certains affiliés à Al-Qaïda, d’autres à l’organisation État islamique – ont fait au moins 1200 morts et chassé de leurs foyers un million de personnes, qui s’agglutinent dans les grandes villes.  

Aucune mesure spécifique n’avait été prise pour que ces déplacés puissent voter.

Des milices villageoises ont été créées par les autorités début 2020 avec l’aval de toute la classe politique ou presque. Leur nombre réel reste inconnu – plusieurs milliers selon les estimations-mais elles devaient jouer un rôle dans la sécurisation du scrutin dans les campagnes.