Comment la COVID-19 frappera-t-elle l’Afrique subsaharienne ? Difficile de se fier seulement aux statistiques actuelles puisque les tests ne sont pas réalisés à grande échelle. Les craintes d’une crise secondaire, causée par les mesures de prévention du coronavirus, inquiètent toutefois les spécialistes.

Mesures précoces

Alice Dato, 53 ans, vit dans une zone considérée comme « à risque », à Cotonou, au Bénin. « On ne sort que quand c’est nécessaire », note la directrice d’une ONG. Le pays de l’Afrique de l’Ouest est l’un des rares à avoir mis en place des cordons sanitaires pour 12 communes, dont Cotonou. Les habitants ont l’interdiction de se déplacer à l’extérieur de la zone et l’entrée est aussi contrôlée. Aucun bus ne circule et le port du masque est obligatoire. Ce n’est qu’une des mesures mises en place depuis la mi-mars. Les réponses d’un pays à l’autre varient grandement, note Valéry Ridde, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement à Dakar, au Sénégal. « Les pays qui ont fait face à l’Ebola étaient plus préparés que les autres, avec des cellules de gestion de crise », dit-il. La fermeture des frontières s’est faite assez rapidement dans plusieurs cas. Difficile, par contre, de prendre des mesures de confinement strictes dans des endroits où des gens dépendent d’un salaire quotidien et de l’économie informelle pour se nourrir.

Tests

Comme ailleurs dans le monde, le nombre de cas confirmés de COVID-19 et de morts est mis à jour quotidiennement. Les chiffres sont cependant à prendre avec prudence : en l’absence de tests, l’épidémie peut rester silencieuse. « Il y a très peu de laboratoires équipés pour faire les tests et les laboratoires sont vite submergés », explique Thomas Druetz, professeur adjoint à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Le nombre de cas plus élevé, par exemple en Afrique du Sud ou au Ghana, pourrait surtout vouloir dire une meilleure capacité à tester. Le coronavirus semble également être arrivé plus tard en Afrique subsaharienne et son évolution est encore à suivre. Deux laboratoires mobiles ont été envoyés la semaine dernière au Rwanda et en Ouganda par l’Allemagne, qui a aussi formé des experts en laboratoires dans six pays africains.

Une crise secondaire

Une crise sanitaire parallèle, conséquence indirecte de la COVID-19, inquiète les experts. Au Zimbabwe, la hausse des cas de paludisme a grimpé à 50 % de plus que l’an dernier, selon des sources officielles. L’Organisation mondiale de la santé avait sonné l’alarme sur la perturbation dans la distribution de moustiquaires et de médicaments contre cette maladie. Les campagnes de vaccination massive ont aussi été suspendues dans plusieurs pays. « C’est très préoccupant », dit M. Druetz, qui juge que la suspension « devrait être très limitée dans le temps ». « Si la couverture vaccinale diminue, il pourrait y avoir une réémergence d’épidémies d’autres maladies », ajoute-t-il. Autre inquiétude : la santé des femmes. « Les femmes vont réfléchir avant d’accoucher dans un hôpital [à cause des risques de la COVID-19], ce qui pourrait faire augmenter la mortalité maternelle », estime M. Ridde.

Violence

D’autres défis guettent le continent, avec des conflits armés et des camps de réfugiés, où la COVID-19 pourrait faire des ravages. Contacté par La Presse jeudi à Gao, au Mali, Ibrahim Maïga se préparait au ramadan, qui devait commencer le lendemain. « Il fait très chaud ici », a-t-il dit en allusion au jeûne. Le commerçant de 30 ans trouve la situation difficile : il vit dans une région secouée par les attaques. « La maladie nous fait oublier l’insécurité, mais on s’occupe trop de la maladie », estime-t-il. Les couvre-feux, mis en place dans plusieurs pays, ne se passent pas toujours sans heurts non plus : au Kenya, l’organisme Human Rights Watch a accusé la police de la mort d’au moins six personnes la semaine dernière, en plus d’autres violences. Au Niger, des émeutes ont éclaté après l’interdiction de prières collectives et la mise en place d’un couvre-feu, un peu avant le début du ramadan. Le nombre de personnes souffrant de famine pourrait doubler d’ici la fin de l’année dans le monde, a aussi averti l’ONU.

Facteurs

« Les coronavirus, généralement, résistent un peu moins bien à la chaleur et à l’humidité », dit M. Druetz. Est-ce à dire que la COVID-19 risque de frapper moins fort sur le continent africain ? Il est trop tôt pour le savoir. Et le mercure élevé dans certaines villes du sud des États-Unis ne semble pas avoir freiné la propagation, note M. Druetz. Autre facteur suscitant des réflexions sur le comportement possible du virus en Afrique : l’âge moyen moins élevé qu’en Occident. « L’Afrique a 20 ans. Chaque jour, sa jeunesse est un atout vendangé parce que la mort précoce est un talent continental », écrivait l’auteur ivoirien Gauz dans un texte publié dans le magazine Jeune Afrique, « Le coronavirus n’a plus de vieux à tuer sur le continent ». Il faut toutefois apporter un bémol, selon M. Druetz. « La capacité de prise en charge thérapeutique est généralement plus faible [qu’en Occident], ce qui pourrait augmenter la létalité [chez les plus jeunes] », avance-t-il.

Solutions

Les chercheurs africains sont très actifs, souligne M. Ridde. « Dans la région de l’Afrique de l’Ouest, il y a un déploiement en recherche et innovation », dit-il, donnant l’exemple de jeunes ingénieurs se penchant sur des solutions pour des robinets sans contact ou d’autres experts qui tentent de fabriquer des respirateurs. Au Sénégal, une initiative interpellant les étudiants a été lancée pour les mobiliser dans la « riposte » contre le coronavirus, les invitant à se porter volontaires et à faire du travail de prévention. « On pense que la solution va venir de nous, qu’on va régler les problèmes là-bas, mais ils font beaucoup de recherches aussi », confirme de son côté M. Druetz. Il note que l’expérience des épidémies est aussi plus grande dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.

– Avec l’Agence France-Presse