Malgré les démentis énergiques du principal intéressé, un groupe d’experts des Nations unies examine le rôle joué par la firme d’un lobbyiste montréalais controversé dans l’envoi en Libye d’un millier de soldats soudanais.

Dans un rapport présenté à la fin de novembre au Conseil de sécurité, les experts en question relèvent que ces troupes ont été déployées en juillet en soutien aux forces du maréchal Khalifa Haftar, qui mène depuis plusieurs mois une offensive musclée pour prendre le pouvoir dans le pays nord-africain.

Ils ajoutent que les militaires ayant pris la tête du Soudan au printemps après un coup d’État avaient signé un contrat avec la « société canadienne Dickens & Madson » précisant qu’elle s’efforcerait de leur obtenir un soutien financier du maréchal en échange d’une « aide militaire » à l’Armée nationale libyenne qu’il chapeaute.

Liens non définis

Les experts ont indiqué qu’ils n’avaient pu déterminer si l’envoi de soldats était lié au versement d’une aide financière, et ils continuaient d’enquêter sur le « rôle direct, si rôle il y a », de la firme de lobbying.

Leurs interrogations sont mentionnées dans une brève section d’un volumineux rapport de près de 400 pages qui recense de « multiples actes constituant une menace contre la sécurité, la paix et la stabilité de la Libye » en nommant de nombreux pays et une série d’intermédiaires.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Ari Ben-Menashe en 2002

Ari Ben-Menashe, qui dirige Dickens & Madson, a indiqué lundi en entrevue avec La Presse qu’il n’avait « strictement rien » à voir avec l’envoi de forces soudanaises en Libye.

Comme il l’avait indiqué au Globe and Mail, qui a révélé l’affaire, le lobbyiste a précisé qu’il avait parlé longuement aux représentants du groupe d’experts des Nations unies sur la Libye à ce sujet.

Il a indiqué que les membres du Conseil militaire de transition du Soudan, qui a été remplacé fin août par une instance incluant des civils, souhaitaient contribuer à la mise sur pied d’une force de maintien de la paix en Libye et ne voulaient aucunement alimenter le conflit civil en renforçant une des parties en cause.

Six millions de dollars

PHOTO IVAN SEKRETAREV, ASSOCIATED PRESS

Le maréchal Khalifa Haftar

Le contrat, accessible en ligne, soulignait explicitement que l’aide financière serait demandée au « Commandement militaire de l’est de la Libye », qui relève de Khalifa Haftar.

La divulgation l’été dernier du contrat, d’une valeur de 6 millions de dollars, avait suscité de nombreuses critiques d’organisations de défense des droits de la personne.

Les sections canadienne-anglaise et québécoise d’Amnistie internationale l’avaient dénoncé en juin dans une lettre transmise au ministère canadien des Affaires étrangères en relevant qu’il visait à « renforcer » les militaires soudanais malgré leur rôle dans la répression sanglante d’un important soulèvement populaire.

Les signataires s’inquiétaient notamment de la possibilité que Dickens & Madson soit amenée à contourner les sanctions ciblant le Soudan après s’être engagée à « obtenir du financement et de l’équipement pour l’armée soudanaise ».

La clause prévoyant d’obtenir une « aide militaire » à la Libye, qui fait aussi l’objet de sanctions, était aussi examinée.

Le ministère des Affaires étrangères a indiqué lundi que le Canada a complètement interdit l’approvisionnement en armes ou en soutien technique à la Libye et au Soudan et que toute firme canadienne contrevenant à ces sanctions commet un acte criminel.

« Nous sommes déterminésà faire en sorte que les droits de la personne, la transparence et la conduite responsable font partie des principes directeurs pour les entreprises canadiennes à l’étranger », a indiqué un porte-parole.

Une enquête a été ouverte cet été relativement aux actions de Dickens & Madson par le gendarmerie royale du Canada, mais aucune accusation n’a été déposée à ce jour.

« Ils ont voulu me rencontrer pour en discuter, mais j’ai refusé. Il n’y a rien à discuter puisque nous n’avons contrevenu à aucune sanction », a déclaré Ari Ben-Menashe.