Devant la contestation populaire, les régimes autocratiques peuvent choisir la répression brutale, comme l’a fait Bachar al-Assad en Syrie. Ils peuvent aussi céder sous la pression de la rue et quitter véritablement le pouvoir, en ouvrant la porte à la démocratie. C’est ce qui s’est passé en Tunisie.

Entre ces deux extrêmes, il y a un autre scénario possible : essayer de gagner du temps, miser sur la fatigue des protestataires, sacrifier quelques dirigeants pour donner l’illusion du changement, puis tenter de sauver le régime en y appliquant une couche de vernis démocratique.

Contesté depuis février, le régime algérien a choisi cette dernière option. Sous la pression populaire, l’ex-président Abdelaziz Bouteflika a renoncé à briguer un cinquième mandat, quelques hommes d’affaires et politiciens corrompus ont été forcés de faire face à la justice…

Puis le régime, dirigé temporairement par le général Gaïd Salah, a entrepris de serrer la vis aux manifestants, de réprimer les médias, de tenter de discréditer ses opposants.

Cette opération de sortie de crise culminera le 12 décembre prochain avec une présidentielle qui, théoriquement du moins, se jouera entre cinq candidats, mais qui, en réalité, opposera le vieux régime de Bouteflika aux opposants qui descendent dans les rues chaque vendredi, depuis 42 semaines, dans l’espoir de propulser leur pays sur la voie d’un véritable changement.

Les cinq candidats s’appellent Ali Benflis, Abdelmadjid Tebboune, Azzedine Mihoubi, Abdelaziz Belaïd et Abdelkader Bengrina. Ils ont été députés, ministres ou premiers ministres. Et ils sont tous issus du même sérail : celui du pouvoir.

Mais peu importe qui, parmi eux, aura suffisamment de voix pour accéder à la présidence. Ce qui compte, c’est plutôt la façon dont se déroulera l’élection. Et ce qui arrivera après.

Poudre aux yeux

Pour les Algériens qui continuent à descendre massivement dans les rues, ce scrutin n’est que de la poudre aux yeux, une manière d’esquiver les réformes réclamées à grands cris depuis presque 10 mois.

Après avoir été secoué par une contestation inattendue, « le régime essaie de se reconstituer, de trouver un nouveau noyau de pouvoir après avoir sacrifié quelques éléments faibles », analyse Athmane Bessalem, jeune avocat algérien joint à Tizi Ouzou, en Kabylie, qui s’est joint au mouvement de contestation dès les premières semaines.

L’élection va leur permettre de se donner une crédibilité constitutionnelle et internationale.

Athmane Bessalem, jeune avocat algérien, à propos du régime

« Alors que les Algériens exigeaient des changements politiques profonds, la préoccupation de l’institution militaire est de rester maîtresse du jeu », estime quant à lui le politicien de l’opposition Soufiane Djilali, dans les pages d’El Watan, l’un des derniers médias algériens à donner une place à la voix des protestataires.

Dans les premiers mois du « hirak » — nom donné au mouvement de protestation —, le pouvoir avait joué la carte de la tolérance. Le départ de quelques têtes dirigeantes n’a pas éteint la fougue des manifestants. Le président par intérim, Gaïd Salah, a fini par trancher : le 8 août dernier, il a déclaré que les revendications fondamentales des manifestants avaient été satisfaites.

Les contestataires n’étant pas de cet avis, le « hirak » est entré dans une deuxième phase, celle de la répression. Depuis l’été, des centaines de personnes ont été arrêtées et détenues sous des accusations diverses, selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH). Des médias ont été muselés et une campagne de propagande a déferlé sur les réseaux sociaux, tentant de discréditer certains courants de la révolte, les qualifiant notamment d’« anti-algériens ».

Selon Athmane Bessalem, cette stratégie de la division a remporté, momentanément du moins, un certain succès et le mouvement de contestation s’est temporairement affaibli — avant de rebondir, à l’approche du scrutin du 12 décembre boycotté par les contestataires.

« Pro » et « anti » élection

La campagne électorale n’oppose pas tant cinq candidats que les « pro » et les « anti » élection.

PHOTO RAMZI BOUDINA, REUTERS

Des manifestants s’opposant à la tenue du scrutin du 12 décembre en Algérie rassemblés vendredi dans les rues d’Alger

Cette semaine, le ministre de l’Intérieur, Salah Eddine Dahmoune, est allé jusqu’à qualifier ces derniers de « pseudo-Algériens, traîtres, homosexuels et mercenaires ». Un dérapage verbal qui donne une idée du climat dans lequel se tient une campagne électorale qui se joue surtout dans les médias : les cinq candidats hésitent à aller sur le terrain, de crainte d’être chahutés par les manifestants opposés à l’élection.

Que feront ces derniers jeudi prochain, jour du scrutin ? Comme d’autres, Soufiane Djilali, qui s’était retiré de la présidentielle de 2014 après l’annonce de la candidature de Bouteflika briguant un quatrième mandat, appréhende une explosion sociale.

« La grande crainte est qu’il y ait des dérapages le jour du scrutin, on peut se retrouver dans un désordre chaotique. »

Et ça risque de ne pas s’arranger après le vote. « Si l’élection se tient, nous aurons un président mal élu, avec une participation très faible, mais surtout une population divisée, démoralisée et frustrée », anticipe le politicien. Avec une menace de dérapage à la clé.