Vénéré, détesté, craint ou encensé, l’ancien président du Zimbabwe Robert Mugabe a été dépeint avec toutes ses nuances après l’annonce de sa mort, hier, à l’âge de 95 ans.

« Icône »

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L’ancien président du Zimbabwe Robert Mugabe est mort hier à l’âge de 95 ans.

Ce sont les mots qu’a employés l’actuel président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa : « Le commandant Mugabe était une icône de la libération, un panafricain qui a consacré sa vie à l’émancipation […] de son peuple », a-t-il déclaré hier sur Twitter. Arrivé au pouvoir en 1980, après la proclamation d’indépendance du pays qui s’appelait alors la Rhodésie, Robert Mugabe a dirigé le Zimbabwe jusqu’en 2017. À travers le pays, de nombreux Zimbabwéens ont témoigné hier de l’admiration que suscitait l’homme. « Il a libéré notre pays, il s’est battu contre la suprématie des Blancs », a témoigné auprès de l’AFP Kelvin Moyo, étudiant à Bulawayo, deuxième ville du pays. Les hommages venus de toute l’Afrique ont évoqué le « champion de la cause africaine contre le colonialisme » (Afrique du Sud), le « révolutionnaire exceptionnel » (Namibie), le « phare de la lutte de libération » (Kenya). Hier, son ancien parti, la ZANU-PF, « s’est réuni et [lui] a accordé le statut de héros national qu’il mérite grandement », a déclaré Emmerson Mnangagwa.

« Père »

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Grace Mugabe, Hillary Clinton, alors première dame des États-Unis, et Robert Mugabe à Harare en mars 1997

« Mugabe nous a tout appris. Il est un père. […] Je suis atterré », a expliqué à l’AFP Matewu Meki, orpailleur à Kwekwe, ville du centre du Zimbabwe. La première décennie au pouvoir de Robert Mugabe a été caractérisée par des avancées remarquables en éducation et en santé. « Les années 80 ont été une époque dorée, rappelle Lauchlan Munro, professeur à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. C’était une véritable révolution positive, tout le monde l’avait remarqué. » Alors que le reste de l’Afrique s’enfonçait dans une crise économique, le Zimbabwe maintenait son PIB tout en redistribuant sa richesse à la population noire, défavorisée pendant la colonisation.

« Antihéros »

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Robert Mugabe en compagnie du secrétaire d’État américain George Shultz en septembre 1983 à Washington

Mais aussi dorée fût-elle, cette époque portait les germes des dérives qui allaient caractériser le régime Mugabe. En 1983-1984, environ 20 000 civils considérés comme dissidents ont été assassinés dans le sud-ouest du pays. « Robert Mugabe n’était pas un héros. Les héros ne tuent pas des civils innocents, […] les héros ne détruisent pas un pays, les héros ne suppriment par les droits des gens et leurs libertés », a témoigné à l’AFP Brightin Ncube, un étudiant de la ville de Bulawayo, bastion de l’opposition. Les rivaux de Mugabe ont été muselés un à un, au fil des élections, qui ont toutes été entachées d’accusations de fraude durant ses 37 ans de règne. « Quiconque reste aussi longtemps au pouvoir reste trop longtemps, dit M. Munro. Il a contribué à la détérioration des institutions démocratiques et constitutionnelles. Il a fait éclater ou a permis de faire éclater des violences contre ses opposants. Et c’est pour ça que ça fera toujours partie de ce qu’on retiendra de lui. »

« Manipulateur »

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Robert Mugabe lors d’une parade militaire de l’armée du Zimbabwe en 2000

« C’était un manipulateur qui a berné le monde », a lancé un ancien vétéran de la guerre d’indépendance, Baster Magwizi, au correspondant de l’AFP. À partir des années 90, les espoirs portés par la décennie post-indépendance se sont peu à peu écroulés. « Et le nouveau millénaire a été catastrophique pour le pays, note Linda Freeman, spécialiste de la politique économique africaine à l’Université Carleton, à Ottawa. Le Zimbabwe est passé de “joyau de l’Afrique” à désastre. » En 2000, sa réforme agraire destinée à redistribuer les meilleures terres agricoles détenues par des fermiers blancs à la majorité noire a été menée dans la précipitation et la violence. « À partir de ce moment, la situation a évolué de mauvaise à horrible », dit Mme Freeman. En partant d’une bonne intention, celle de redistribuer équitablement les terres détenues par une minorité blanche, « il a également tué la poule aux œufs d’or en détruisant le secteur de l’agriculture industrielle, ajoute Mme Freeman. Il n’a jamais pu remplacer les revenus perdus ». Faute de fonds, les services publics se sont écroulés et l’hyperinflation s’est imposée. La crise économique perdure depuis cette époque – aujourd’hui, le chômage touche près de 90 % de la population active.

« Traître »

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Robert Mugabe devant l’Assemblée générale des Nations unies en 2016

En 2017, après avoir tenté d’installer son épouse Grace Mugabe au pouvoir à sa place, il voit ses anciens collaborateurs se retourner contre lui, en plus de perdre le soutien de l’armée. « En tant que dirigeant, la seule chose qu’il ait faite de mal est de rester au pouvoir pendant trop longtemps », a expliqué à l’AFP hier Joshua Tsenzete, un résidant de Harare. Robert Mugabe aura été les deux : héros et dictateur. L’ancien ministre britannique et militant antiapartheid Peter Hain a résumé ainsi les facettes du personnage : « Un héros de la libération, torturé et emprisonné par le régime de la minorité blanche raciste dans l’ancienne Rhodésie, qui a ensuite trahi toutes les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie du temps de la lutte pour la liberté », pour « devenir un dictateur corrompu qui a tué et torturé des opposants ».

— Avec l’Agence France-Presse et la BBC

Le Zimbabwe se prépare aux funérailles

L’ancien président Robert Mugabe s’est éteint à l’hôpital Gleneagles, à Singapour. Selon son neveu par alliance Adam Molai, il est mort de vieillesse : hospitalisé cette semaine, « il est décédé entouré de sa famille », a-t-il dit à la presse. Le corps sera rapatrié « probablement la semaine prochaine », selon M. Molai. La famille n’a pas encore décidé du lieu de l’enterrement, a précisé à la presse l’un de ses neveux, Léo, à Kutama, village natal du défunt au Zimbabwe. « On attend que sa dépouille arrive de Singapour », a-t-il dit. Un deuil a été décrété dans tout le pays jusqu’aux funérailles, dont la date n’a pas été communiquée. — D’après l’Agence France-Presse