(Khartoum) Les ventes ont chuté dans les cinq centres commerciaux de Hachem Aboulfadel qui, comme d’autres hommes d’affaires au Soudan, craint l’effondrement d’une économie déjà fragile après de longs mois de troubles et d’instabilité politique.

Généraux au pouvoir et meneurs de la contestation ont paraphé mercredi une « déclaration politique », un accord sur le partage du pouvoir auquel ils sont parvenus après sept mois de manifestations marqués par la destitution le 11 avril du président Omar el-Béchir et une répression brutale.

Déclenchées en décembre par le triplement du prix du paix en plein marasme économique, les manifestations se sont poursuivies après la chute d’Omar el-Béchir, la contestation exigeant depuis le transfert du pouvoir à un gouvernement civil.

Dans les cinq centres commerciaux de Khartoum dont est propriétaire le millionnaire soudanais Hachem Aboulfadel, les ventes ont baissé entre 20 et 25 %, dévissant parfois de 40 % pour certains produits, en raison des troubles.

Depuis le 11 avril, le flou règne sur la politique économique du pays « et en tant qu’investisseur, je ne peux prendre de décisions dans le climat actuel », explique M. Aboulfadel, qui dépend largement des importations pour approvisionner les magasins de ses centres commerciaux.

Beaucoup d’entreprises ont cessé d’importer en raison de l’instabilité actuelle du pays, assure-t-il.

Même son de cloche chez Mohammad Hussein Madwi, qui possède plusieurs sociétés agricoles et entreprises manufacturières.

« Les ventes ont chuté d’au moins 30 % en raison d’une demande en baisse et de l’effondrement de la livre soudanaise », affirme-t-il. « J’hésite à investir ou à importer en raison de l’incertitude politique, les choses sont pratiquement à l’arrêt. »

La livre soudanaise a perdu de sa valeur face au dollar depuis 2017, l’inflation atteignant 70 % en décembre selon le bureau central des statistiques du Soudan.

Et si l’inflation est retombée à moins de 50 %, le manque de liquidités oblige toujours Hanadi Mohammad, mère de sept enfants, à limiter ses achats.

« Je ne sais pas combien de temps on pourra encore vivre comme ça », dit-elle, passant devant des appareils électroménagers qui, en dépit d’importantes remises, demeuraient invendus sur les étagères de ce centre commerciaux appartenant à M. Aboulfadel.

Les difficultés économiques ont été le déclencheur de la contestation, avec le triplement du prix du pain en décembre dernier dans un pays à l’économie exsangue.

« Au plus bas »

Au bout de plusieurs mois d’un mouvement de protestation qui a maintenu la pression sur le pouvoir, la contestation et les généraux sont parvenus à un accord sur les organes de gouvernance.

Mais d’autres questions urgentes restent à régler, notamment la crise économique, dans un pays déjà dévasté, bien avant les manifestations déclenchées en décembre, par des décennies de sanctions américaines.

« L’activité commerciale est au plus bas depuis janvier », souligne le journaliste économique Khaled al-Tijani. « L’économie souffre d’un manque de confiance parce qu’il n’y a pas de gouvernement pour la superviser. »

En avril, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont annoncé une aide économique de 3 milliards de dollars (2,67 milliards d’euros) pour le Soudan, y compris un dépôt de 500 millions de dollars dans la Banque centrale pour renforcer la monnaie soudanaise.

Le reste de l’enveloppe sera alloué à l’achat de médicamentes, de produits alimentaires et pétrochimiques.

Crise agricole

L’agriculture est un secteur majeur et une source essentielle de revenu pour la plupart des 40 millions de Soudanais. Or la crise touche de plein fouet les fermiers, qui ne peuvent plus importer de produits chimiques agricoles, notamment à cause de l’effondrement de la livre soudanaise.

Dimanche, Riyad et Abou Dabi ont envoyé en urgence au Soudan plus de 50 000 tonnes d’engrais et autres produits agricoles, selon l’agence de presse saoudienne SPA.

Faisal Mohammad, importateur de produits agricoles, explique que les importations de produits agricoles ont été durement touchées par un manque de devises étrangères.

Mais aussi « par la faiblesse de la livre et la hausse des prix ainsi qu’un manque de confiance parmi les consommateurs, tout cela a un impact négatif sur les activités agricoles », souligne-t-il.

L’impact sur ce secteur vital pourrait nuire encore plus à l’économie du Soudan, prévient M. Tijani.

« Tout le monde est vigilant et attend », affirme M. Aboulfadel. « Si cet état de tension et d’incertitude perdure, l’économie s’effondrera ».

Pour l’homme d’affaires, il n’y a qu’un seul moyen d’avancer.

« Un accord politique entre le Conseil militaire et (les meneurs de la contestation) est la seule issue possible pour la situation économique actuelle », assure-t-il.