Un quart de siècle après la fin de l’apartheid, le parti de Nelson Mandela vient d’essuyer les pires résultats électoraux de son histoire. Selon les dernières compilations, le Congrès national africain (ANC) a récolté 57 % des votes aux législatives du 8 mai, soit cinq points de moins que lors des législatives de 2014.

Le scrutin de mercredi a également été marqué par un taux de participation historiquement bas, moins des deux tiers des électeurs inscrits ayant exercé leur droit de vote.

L’ANC, qui domine la vie politique en Afrique du Sud depuis 1994, a pu éviter le pire : il a préservé sa majorité, ce qui permet au président Cyril Ramaphosa de se maintenir à la tête de l’État.

Mais ces résultats n’en confirment pas moins le lent déclin du parti qui avait réussi à mettre un terme au régime de ségrégation raciale.

En 25 ans de règne, l’ANC n’avait jamais recueilli moins de 62 % des voix, et avait même frôlé les 70 % en 2004. Les résultats de mercredi confirment la débâcle des municipales de 2016, qui avaient vu deux des plus grandes villes du pays, Johannesburg et la capitale, Pretoria, passer dans les mains de l’opposition.

Le facteur temps

Comment expliquer cette érosion de popularité ? L’un des facteurs, c’est tout simplement… le temps, signale Thierry Vircoulon, coordonnateur de l’Observatoire de l’Afrique australe et centrale à l’Institut français des relations internationales. « Les électeurs ont sanctionné l’ANC parce que 25 ans de pouvoir, c’est très long », note-t-il lors d’un entretien téléphonique.

Près de la moitié des Sud-Africains ont aujourd’hui moins de 25 ans. Pour eux, l’ANC est au pouvoir depuis toujours, souligne le chercheur. 

« [Les jeunes] n’ont connu que ce parti et ils le tiennent responsable de tout ce qui ne va pas bien. » — Thierry Vircoulon, coordonnateur de l’Observatoire de l’Afrique australe et centrale à l’Institut français des relations internationales

Tout en haut de la liste de choses qui ne vont pas bien en Afrique du Sud, il y a un taux de chômage colossal : 27 %. En deuxième position, les écarts de revenus qui placent l’Afrique du Sud parmi les États les plus inégalitaires de la planète. Puis la corruption endémique, qui a contraint l’ancien président Jacob Zuma à quitter son poste, en février 2018, dans la foulée d’une série de scandales.

L’héritage de l’ANC

Même s’il a fait reculer la pauvreté et mis en place des politiques sociales au fil des ans – l’Afrique du Sud vient d’introduire un salaire minimum, une première en Afrique subsaharienne, selon Thierry Vircoulon –, l’ANC n’est pas parvenu à atteindre les objectifs de 1994, note le chercheur.

« Mais peut-être que ces objectifs étaient trop irréalistes », nuance-t-il.

Ainsi, 25 après l’abolition de l’apartheid, la minorité blanche, qui représente 8 % de la population du pays, possède toujours 72 % des exploitations agricoles. Menacé sur sa gauche par le parti des Economic Freedom Fighters (EFF, Combattants de la liberté économique), l’ANC a brandi la promesse de redistribution de ces terres, sans compensations pour leurs propriétaires actuels. Une promesse dont les contours restent flous pour l’instant. Et qui, selon Thierry Vircoulon, comporte sa part de risques politiques.

Cyril Ramaphosa s’est également engagé à nettoyer le parti et à mettre fin à la corruption et aux guerres de factions qui le déchirent.

« La route à parcourir est longue et il reste encore beaucoup à faire, mais l’ère de l’impunité est terminée », a promis, au cours de la campagne électorale, cet ancien syndicaliste devenu un riche homme d’affaires.

Mandat affaibli

Globalement, le président Ramaphosa a réussi à sauver la mise, mais avec un mandat affaibli. Or, il aura besoin de toute sa marge de manœuvre pour aller au bout de ces engagements, fait valoir Dan O’Meara, spécialiste de l’Afrique du Sud à l’UQAM.

Ce qui joue en sa faveur, c’est que les principaux partis de l’opposition, l’EFF et l’Alliance démocratique, n’ont pas fait de gains substantiels, avec des scores respectifs de 10 % et 22 %, selon les derniers décomptes.

Reste que la dynamique de déclin est bien en place. 

« L’ANC finira par perdre le pouvoir. Reste à savoir quand et comment ça se produira. » — Thierry Vircoulon, coordonnateur de l’Observatoire de l’Afrique australe et centrale à l’Institut français des relations internationales

Le cas échéant, « le parti acceptera-t-il la défaite de bonne grâce, ou bien deviendra-t-il plus autoritaire en réduisant la démocratie ? », se demande le spécialiste.

Dan O’Meara, qui est originaire d’Afrique du Sud et a déjà milité au sein de l’ANC, est moins fataliste. « Les cinq prochaines années seront déterminantes. S’il échoue dans ses réformes, l’ANC va continuer à décliner. Le problème, c’est qu’il n’existe actuellement aucune formation capable de prendre sa place. »