(Alger) Une foule très importante défile à Alger pour un 9e vendredi consécutif de manifestations marqué par de nombreux cortèges à travers l’Algérie, les contestataires, forts de leurs succès successifs, refusant la transition engagée après la démission du président Abdelaziz Bouteflika.

Aucun chiffre officiel n’est communiqué ni par les autorités ni par la contestation, mais la mobilisation à Alger, où les artères du centre-ville sont saturées de manifestants, est comparable à celle des précédents vendredi, jugée historique par les observateurs.

« On ne s’arrêtera que quand vous partirez tous », « Barakat [ça suffit] ce système », scandent les manifestants dans le cortège qui s’est ébranlé en milieu d’après-midi. Des milliers d’entre eux s’étaient rassemblés dès la matinée devant la Grande Poste, bâtiment emblématique du centre d’Alger devenu le point de ralliement de la contestation dans la capitale.

Des foules importantes défilent également à Oran (nord-ouest) et Annaba (nord-est), 2e et 4e villes d’Algérie, mais aussi dans des villes de moindre importance comme Bordj Bou Arreridj, à 150 km au sud-est d’Alger, selon des journalistes locaux.

La télévision nationale montre également de fortes mobilisations à Constantine (nord-est), 3e ville du pays, Sétif (nord-est) ou El-Oued, ville du Sahara (est).

Il y a deux mois encore, les manifestations à Alger étaient strictement interdites et le scénario semblait écrit : les Algériens iraient aux urnes jeudi 18 avril pour offrir à Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, un 5e mandat à la tête de l’Algérie, qu’il gouvernait sans partage depuis 20 ans.

Mais la perspective d’un nouveau quinquennat d’un président handicapé et aphasique depuis un AVC en 2013 a poussé en masse les Algériens dans la rue à partir du 22 février.

Depuis, les millions de manifestants à travers le pays ont notamment obtenu qu’Abdelaziz Bouteflika renonce à un nouveau mandat puis qu’il quitte le pouvoir avant même la fin de son mandat.

Les rassemblements de vendredi interviennent après la démission dans la semaine d’un nouveau cacique du régime, Tayeb Belaiz, président du Conseil constitutionnel.

Avec Abdelkader Bensalah, président de la Chambre haute propulsé chef de l’État par intérim, et le premier ministre Noureddine Bedoui, Tayeb Belaiz était l’un des « 3 B », membres du premier cercle autour de M. Bouteflika, dont la contestation exige désormais le départ.

« Kif, kif »

La démission de M. Belaiz ne devrait pas suffire à apaiser les manifestants qui ont peu ou prou obtenu une concession, un recul ou une tête après chaque vendredi d’imposante mobilisation.

Sans compter le fait que son remplaçant, Kamel Feniche, membre depuis 2016 du Conseil constitutionnel et inconnu du grand public a, pour les contestataires, toutes les caractéristiques du fidèle serviteur du « système ».

« Dégage Bensalah », scandent notamment vendredi les manifestants.

« Ce n’est pas parce que Belaiz a démissionné que c’est fini. Feniche c’est pas mieux. À quoi a servi le Conseil constitutionnel, à part valider la fraude du système dont il fait partie ? », demande Lyes Adimi, étudiant de 24 ans, à Alger.

« Feniche, Belaiz : kif kif », indique un manifestant sur une pancarte. Sur une autre on peut lire : « Peuple pacifique, gouvernement violent ».

Accusée ces dernières semaines d’avoir tenté de réprimer les manifestations, la police se fait discrète vendredi dans la capitale algérienne.

Elle a néanmoins bouclé un tunnel d’une centaine de mètres, habituellement emprunté par les manifestants, dans lequel elle est accusée d’avoir lancé des gaz lacrymogènes provoquant un dangereux mouvement la semaine dernière.

« Les restes »

Après avoir rejeté un scrutin de façade pour réélire M. Bouteflika, les manifestants refusent la nouvelle présidentielle fixée au 4 juillet pour lui élire un successeur.

Le processus de transition est soutenu par l’armée, replacée au centre du jeu politique,  alors que les partis politiques – au pouvoir comme de l’opposition – sont marginalisés par la contestation et inaudibles.

L’armée « est convaincue que la gestion de la crise passe par des mesures d’apaisement », estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen de Genève. Elle procède de façon « graduelle pour minimiser l’étendue des concessions et s’assurer de leur pertinence » auprès de la contestation.

« Toutes les options restent ouvertes pour trouver une solution à la crise dans les meilleurs délais », a affirmé cette semaine le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée et de facto homme fort de l’Algérie, laissant penser que l’institution militaire pourrait assouplir sa position.

Lui aussi contesté par la rue en tant qu’ex-pilier du régime, le général Gaïd Salah a aussi voulu rassurer en affirmant que l’armée ne tournerait pas ses armes contre le peuple.

M. Bensalah a de son côté entamé des consultations, mais les « personnalités nationales » reçues semblent loin de correspondre au changement réclamé par la contestation.  

L’opposition a elle été invitée lundi prochain à une « réunion de concertation ». « Les restes du pouvoir invitent les restes de l’opposition […] afin de décider à la place du peuple », écrit le quotidien arabophone El Khabar.