« On nous prend vraiment pour des c... » : la crise autour de la succession déjà trois fois retardée du président Joseph Kabila en République démocratique du Congo a repris de plus belle mercredi à l'annonce du report partiel des élections générales dans deux régions, dont Beni (est) touchée par Ebola et des tueries.

Les élections présidentielle, législatives et provinciales prévues dimanche sont reportées « en mars » et « feront l'objet d'un calendrier spécifique » dans cette région de Beni-Butembo (est), de même qu'à Yumbi à l'ouest, a indiqué la Commission électorale nationale indépendante (Céni).

La Céni a cependant annoncé une « publication des résultats définitifs de l'élection présidentielle » dès le 15 janvier, après les élections reprogrammées dimanche dans le reste du pays.

L'élection doit désigner le successeur du président Kabila, contraint de quitter le pouvoir par la Constitution.

Selon ce nouveau calendrier électoral, la « prestation de serment du président de la République élu » aura lieu le 18 janvier, 18 ans après celle du président Kabila, 47 ans, propulsé au pouvoir après l'assassinat de son père en janvier 2001.

Le report concerne 1 256 177 électeurs (sur 40 millions d'inscrits), selon un calcul fait à partir des chiffres de la Céni. L'immense majorité se trouve dans la région de Beni-Butembo, dans l'est.

L'opposition a qualifié « d'injustifiable » ce report partiel qui vise selon elle ses bastions anti-Kabila. « Cette nouvelle manoeuvre montre que le régime veut s'éterniser pour continuer le pillage ! », a réagi sur Twitter l'opposant en exil Moïse Katumbi, qui soutient la candidature de Martin Fayulu.

« Les élections doivent se passer sur toute l'étendue de la république et au même moment. C'est ça la loi ! », a déclaré à l'AFPTV Gédéon Sépéngwa, président des jeunes du parti historique d'opposition UDPS au Nord-Kivu. « Ce que nous préparons c'est le soulèvement populaire, chasser Kabila pour que nous ayons des élections, parce qu'avec Kabila ça devient un rêve, ça n'aura plus lieu ».

Le président de l'UDPS, Félix Tshisekedi, est l'autre principal candidat de l'opposition.

« On nous prend pour des c... ! », a tempêté sur Twitter Léonie Kandolo, du « Comité laïc de coordination » (catholique) à l'origine de trois marches anti-Kabila en début d'année.

« C'est une décision très grave. Il y a quelque part un agenda caché », a déclaré le porte-parole et le secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), l'abbé Donatien Nshole.

La région de Beni est touchée par une épidémie d'Ebola qui a tué 354 personnes depuis le 1er août.

En outre, des tueries de civils attribuées aux miliciens ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF) ont fait près de 1000 morts depuis octobre 2014, malgré les interventions de l'armée congolaise et des Casques bleus.

Les consignes de l'Intérieur

Le ministre de l'Intérieur, Henri Mova, avait demandé récemment au président de la Céni, Corneille Nangaa, « de bien vouloir tenir compte des enjeux sécuritaires et sanitaires » dans la région de Beni-Butembo.

Au moins 80 personnes ont été tuées entre le 16 et le 17 décembre dans la région de Yumbi et des milliers ont fui au Congo-Brazzaville voisin. Dans cette province du Mai-Ndombe, les Banunu affirment être pourchassés par des Batendé à la suite de l'enterrement d'un de leurs chefs coutumiers.

À Brazzaville, un mini-sommet régional s'est ouvert mercredi sur la RDC sans représentant de Kinshasa.

Le président angolais Joao Lourenço et zambien Edgar Lungu ont fait le déplacement chez leur homologue congolais Denis Sassou Nguesso.

Les élections générales ont été trois fois repoussées en RDC depuis la fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila fin 2016 : de décembre 2016 à décembre 2017, de décembre 2017 au 23 décembre 2018, puis du 23 au 30 décembre 2018.

L'Église catholique, la société civile et les partis d'opposition se sont prononcés contre un nouveau report des élections après celui du 23 décembre, qui a été annoncé trois jours avant cette échéance.

Contraint de ne pas briguer un troisième mandat interdit par la Constitution, le président Kabila a désigné un dauphin, son ex-ministre de l'Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary.

Ce candidat, visé par des sanctions de l'Union européenne, fait face aux deux principaux candidats de l'opposition, Martin Fayulu et Félix Tshisekedi.