Le gouvernement tunisien a annoncé samedi une batterie de mesures sociales après une semaine de contestation contre l'austérité émaillée de heurts, espérant ainsi calmer la colère d'une partie de la population sept ans après la révolution.

Plusieurs manifestations étaient prévues dans la matinée de dimanche pour marquer l'anniversaire de la chute du dictateur Zine el Abidine Ben Ali, chassé le 14 janvier 2011 par un mouvement de protestation contre le chômage, la vie chère et la corruption.

Le plan d'action gouvernemental, qui doit toucher plus de 120 000 bénéficiaires, coûtera plus de 70 millions de dinars (23,5 millions d'euros), a indiqué à la presse le ministre des Affaires sociales, Mohamed Trabelsi.

Il prévoit une aide à l'accès à la propriété pour les familles pauvres, des mesures visant à assurer «une couverture médicale pour tous», et une augmentation de l'allocation sociale en faveur des familles nécessiteuses, qui passera de 150 dinars (50 euros) à 180 et 210 dinars (60 et 70 euros) en fonction du nombre d'enfants, soit une augmentation d'au moins 20%.

«C'est un projet de loi très avancé, qui a été soumis au Parlement et sera discuté d'ici une semaine», a indiqué une source gouvernementale sous couvert d'anonymat, assurant que le gouvernement y travaillait dès avant la contestations. «Nous pouvons le financer», a-t-elle ajouté sans préciser si ces mesures avaient déjà été budgétées.

Des manifestations pacifiques et des émeutes nocturnes ont eu lieu la semaine passée dans plusieurs villes de Tunisie, une contestation alimentée par un chômage persistant -- 15% officiellement-- malgré la croissance, et par des hausses d'impôts grignotant un pouvoir d'achat déjà éprouvé par une importante inflation (plus de 6% fin 2017).

Le président tunisien Béji Caïd Essebsi, qui a rencontré samedi les responsables des partis au pouvoir, du patronat et du syndicat UGTT, a reconnu: «le climat social et le climat politique ne sont pas bons en Tunisie», tout en assurant que «la situation reste positive».

«Nous sommes capable de maîtriser les problèmes», a-t-il insisté.

Il a prévu de se rendre dimanche matin dans un quartier déshérité de Tunis, où des heurts ont eu lieu cette semaine.

Presse étrangère critiquée

M. Essebsi a par ailleurs accusé la presse étrangère d'avoir «amplifié» les faits.

Vendredi, l'organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières a condamné des pressions sur les journalistes après l'interpellation d'un correspondant français et d'un reporter tunisien qui couvraient les rassemblements.

Les heurts nocturnes avaient éclaté lundi soir opposant jeunes jetant des pierres et des cocktails molotov à des policiers faisant usage de gaz lacrymogènes dans plusieurs villes de Tunisie. Ils se sont reproduits jusqu'à jeudi soir. Des bâtiments publics ont été attaqués et des magasins pillés. Un homme est mort dans des circonstances peu claires durant une manifestation dans la ville de Tebourba, à 30 km à l'ouest de Tunis.

Carton jaune

Vendredi, quelques centaines de manifestants ont protesté dans le calme à Tunis et à Sfax (centre), lançant un «carton jaune» au gouvernement sur l'austérité à l'appel du mouvement «Fech Nestannew» («Qu'est-ce qu'on attend»). Ce mouvement de la société civile a lancé en début d'année la contestation contre le budget 2018 voté en décembre, la hausse des prix et la corruption. Il réclame davantage de justice sociale.

Le calme est revenu globalement dans le pays depuis jeudi soir. Samedi soir, des incidents ont eu lieu à Siliana (centre).

Au total 803 personnes ont été arrêtées, a indiqué samedi à l'AFP le porte-parole du ministère de l'Intérieur Khlifa Chibani.

Pour la politologue tunisienne Olfa Lamloum, «ces mobilisations sociales révèlent une colère, portée par les mêmes qui s'étaient mobilisés en 2011 et n'ont rien obtenu comme droits économiques et sociaux».

La révolution du Jasmin avait été déclenché par l'immolation par le feu le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, une ville dans l'arrière pays déshérité, d'un vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi.

Nombre de Tunisiens estiment avoir gagné en liberté mais perdu en niveau de vie depuis la chute de Ben Ali.

La Tunisie, en difficulté financière après plusieurs années de marasme économique, notamment dû à la chute du tourisme après une série d'attentats en 2015, a obtenu un prêt de 2,4 milliards d'euros sur quatre ans du Fonds monétaire international (FMI). En échange, elle s'est engagée à une réduction de son déficit public et à des réformes économiques.

Adopté à une large majorité en décembre, le budget 2018 augmente notamment la TVA, les impôts sur la téléphonie ou l'immobilier et certains droits d'importation.