Le président kényan Uhuru Kenyatta a été investi mardi pour un second mandat à la tête d'un pays divisé, comme en témoignent la promesse de son rival Raila Odinga de prêter serment comme président et la mort de deux opposants dans la répression d'une manifestation.

Car le contraste était saisissant entre la cérémonie d'investiture de M. Kenyatta et les tirs tendus de la police contre des partisans de M. Odinga qui souhaitaient organiser un rassemblement dans le sud-est de la ville.

Réélu à la présidentielle d'octobre boycottée par l'opposition, M. Kenyatta a promis sous les vivats de 60 000 personnes rassemblées dans un stade du nord-est de Nairobi de «construire des ponts, unifier et apporter la prospérité à tous les Kényans».

Cette promesse risque toutefois de sonner bien creux aux oreilles de l'opposition, qui répète à l'envi qu'elle ne reconnaît pas la réélection de M. Kenyatta et dénonce la répression brutale de ses manifestations.

L'investiture de M. Kenyatta pour un second et dernier mandat de cinq ans, en présence d'une dizaine de chefs d'État africains, signe la fin d'une saga électorale marquée notamment par l'invalidation en justice de la présidentielle du 8 août, mais pas celle d'une crise politique qui a rappelé au pays ses profondes fractures ethniques, géographiques et sociales.

«Cette période a été difficile, mais une fois de plus, les Kényans ont fait preuve de résilience», a lancé M. Kenyatta, promettant par ailleurs d'intensifier le développement des infrastructures, de l'économie et de la couverture santé.

«Désobéissance»

Présente massivement dans les rues de Nairobi, la police avait bouclé mardi matin un terrain où l'opposition entendait organiser un rassemblement. À coups de gaz lacrymogène, de tirs de semonce et de tirs tendus, elle a joué au chat et à la souris avec quelques centaines d'opposants qui tentaient de s'y rendre.

Au moins deux personnes ont été tuées, dont un garçon touché par une balle perdue, ont indiqué des sources policières.

C'est non loin de cette zone que Raila Odinga a promis à quelques centaines de partisans, en milieu d'après-midi, qu'il prêterait serment en tant que président du pays le 12 décembre, jour de l'indépendance du Kenya, ancienne colonie britannique.

«Je suis le président légitime», a déclaré celui qui a lancé une campagne de «désobéissance civile» suivie de manière inégale par ses partisans, avant que la police ne tire des gaz lacrymogènes vers le véhicule depuis laquelle il s'exprimait.

Selon un décompte de l'AFP, les violences ayant accompagné le processus électoral ont fait au moins 58 morts depuis le 8 août, principalement dans la brutale répression des manifestations de l'opposition par la police. Loin toutefois du millier de morts des violences politico-ethniques ayant suivi l'élection de 2007. 98 %

Cette crise politique avait paradoxalement débuté par une décision historique de la Cour suprême, le 1er septembre: saisie par l'opposition, elle évoque des irrégularités dans la transmission des résultats et invalide la présidentielle du 8 août.

Le jugement est salué comme une opportunité pour renforcer la démocratie, mais les politiciens kényans auront surtout redoublé d'efforts dans leurs violentes invectives.

C'est donc dans un climat politique délétère que M. Kenyatta, 56 ans et au pouvoir depuis 2013, est proclamé vainqueur de la nouvelle présidentielle du 26 octobre.

Cette victoire avec 98 % des voix, confirmée le lundi 20 novembre par la Cour suprême, est toutefois ternie par une faible participation (39 %) en raison du boycottage de l'opposition, qui estimait qu'elle ne pouvait en aucun cas être libre et équitable. Les partisans de M. Odinga ont même empêché la tenue du scrutin dans quatre comtés de l'ouest (sur les 47 que compte le pays).

Dans les fiefs de Raila Odinga, un Luo, cette crise a renforcé le sentiment d'avoir été déclassé et discriminé depuis l'indépendance (1963), principalement par rapport à l'ethnie kikuyu, celle de M. Kenyatta, qui a donné au Kenya trois de ses quatre présidents.

Pour certains observateurs, cette crise est également le signe d'un fossé croissant entre les élites politiciennes et le peuple, dont une majorité silencieuse se plaint des effets de la discorde sur l'économie kényane et aspire à ce que le pays tourne la page.