Au lendemain de la démission-choc du président Robert Mugabe au pouvoir depuis 1980, le Zimbabwe est entré dans une nouvelle ère mercredi avec le retour attendu dans la journée de son successeur annoncé et ancien bras droit Emmerson Mnangagwa.

L'ex-vice-président avait quitté, pour des raisons de sécurité, le pays peu après son éviction du gouvernement le 6 novembre. Il sera finalement investi président vendredi, a annoncé mercredi le groupe audiovisuel public ZBC.

Celui qu'on surnomme le «crocodile» en raison de son caractère inflexible tient ici sa revanche.

Ce cacique du régime était devenu récemment indésirable aux yeux de Robert Mugabe, 93 ans. Il barrait la route à la Première dame, l'impopulaire Grace Mugabe, avide de remplacer le moment venu son époux.

Robert Mugabe, fin tacticien, avait cette fois-ci mal calculé son coup. En limogeant son vice-président, il a finalement provoqué sa propre chute.

Sous la pression conjuguée de l'armée qui a pris le contrôle du pays dans la nuit du 14 au 15 novembre, de la rue et de son parti, l'obstiné Mugabe a dû se rendre à l'inconcevable: lâcher les rênes du pouvoir.

C'est lors d'une session extraordinaire du parlement qui débattait mardi de sa destitution, que sa démission a été annoncée.

La décision a provoqué une explosion de joie dans la population exténuée par des années de crise économique et harassée par un régime autoritaire.

«Je me sens bien là. Avec lui au pouvoir, la vie était un sacré défi. Tu vas à l'école, tu obtiens un diplôme, mais au bout du compte, tu finis par vendre du crédit téléphonique dans la rue», a confié à l'AFP Danny Time, un électricien de formation.

Le successeur de Robert Mugabe aura pour premier défi de relever une économie à genoux, où 90% de la population est au chômage.

Dictateur

Emmerson Mnangagwa, 75 ans, est attendu mercredi après-midi sur la base militaire aérienne de Manyame à Harare, selon la ZBC. Plusieurs bus se dirigeaient à la mi-journée vers l'aéroport, selon des journalistes de l'AFP.

L'ancien numéro deux du régime a déjà été propulsé dimanche président du parti au pouvoir, la Zanu-PF, et candidat pour la présidentielle de 2018, en remplacement de Robert Mugabe.

Mais l'alternance au sommet de l'État «ne signifie pas forcément plus de démocratie», a souligné l'analyste Rinaldo Depagne du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG).

Et la population le sait bien. «Avec des éléments de la Zanu-PF encore au pouvoir, je doute qu'on avance», s'inquiète un homme d'affaires zimbabwéen, Munyaradzi Chihota, 40 ans.

«On ne veut pas remplacer un dictateur par un autre dictateur», prévient un autre habitant de la capitale, Oscar Muponda.

Pilier de l'appareil sécuritaire, Emmerson Mnangagwa était aux commandes lors des différentes vagues de répression des quatre dernières décennies.

Les organisations de défense des droits de l'Homme ont d'ailleurs immédiatement mis en garde le futur président du Zimbabwe.

En trente-sept ans de régime Mugabe, «des dizaines de milliers de personnes ont été torturées, ont disparu et ont été tuées», a rappelé Amnesty International, appelant le pays à «renoncer aux abus du passé».

«Le prochain gouvernement devra rapidement engager des réformes de l'armée et de la police, outils de répression de Mugabe», a préconisé de son côté l'organisation Human Rights Watch (HRW).

«Adios Bob»

Alors que le sort du couple Mugabe n'est toujours pas connu, le Zimbabwe semble déjà avoir tourné la page.

«Adios Bob ! Après 37 ans Mugabe démissionne enfin», a titré le quotidien d'opposition NewsDay.

«Adieu camarade président», a lancé à sa une le journal d'État The Herald. Dans un éditorial, le journal a même évoqué «les erreurs du passé», une critique inconcevable il y a encore quelques semaines.

De son côté, l'Union africaine s'est félicitée de «la décision du président Mugabe de démissionner après une vie consacrée au service de la nation zimbabwéenne».

Son choix «restera dans l'histoire comme l'acte d'un véritable homme d'État, qui ne peut que renforcer l'héritage politique du président Mugabe», selon l'organisation panafricaine.

La Chine, important partenaire du Zimbabwe, a elle rendu hommage à son «ami» Robert Mugabe, qui a «apporté une contribution historique à l'indépendance du Zimbabwe», en référence au rôle clé joué par le «camarade Bob» dans la guerre de «libération» de cette ancienne colonie britannique.