Toute la République démocratique du Congo retient son souffle : même si son mandat est arrivé à échéance hier, le président Joseph Kabila ne semble avoir aucune intention de céder le pouvoir. Le pays, qui n'a jamais connu de transition démocratique depuis son indépendance, craint le pire. Explications.

HEURTS RECENSÉS

Émeutes, tirs d'armes lourdes et manifestations ont marqué hier la première journée suivant l'échéance du mandat présidentiel de Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001 en République démocratique du Congo (RDC). Au moins 26 personnes ont été tuées par les forces de sécurité dans le pays, a affirmé Human Rights Watch, tandis que le quartier général du parti au pouvoir a été incendié dans la capitale. Des tirs ont également retenti à Lubumbashi, deuxième ville du pays. « C'est la semaine de tous les dangers », lance Thierry Vircoulon, de l'Observatoire de l'Afrique australe et des Grands Lacs à l'Institut français des relations internationales. Selon lui, le pouvoir congolais mise sur le temps des Fêtes pour que la contestation s'essouffle. Si tel était le cas, le chercheur prévoit que « la situation va pourrir en 2017 avec une exaspération qui éclatera au moment où on ne s'y attend pas ».

UN PRÉSIDENT ACCROCHÉ AU POUVOIR

Accusé de s'être servi de la présidence pour se bâtir une fortune colossale, notamment par une enquête de l'agence de presse Bloomberg dévoilée la semaine dernière, le président Joseph Kabila s'accroche au pouvoir. Arrivé à la tête du pays après l'assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila, en 2001, Joseph Kabila a été élu en 2006, puis réélu en 2011 au terme d'élections contestées. Plutôt que de modifier la Constitution afin de pouvoir solliciter un troisième mandat - ce qu'elle ne permet pas actuellement -, le président « n'a simplement pas donné à la commission électorale l'argent et les instructions pour qu'elle organise les élections » qui étaient prévues en novembre dernier, explique Thierry Vircoulon. Le président s'appuie maintenant sur un accord conclu avec une frange minoritaire de l'opposition l'autorisant à demeurer en poste jusqu'à la tenue d'un scrutin maintenant programmé pour avril 2018. Les principales figures de l'opposition ont dénoncé la manoeuvre du président, l'octogénaire Étienne Tshisekedi l'accusant de commettre un « coup d'État ».

UNE FIN DE RÈGNE À LA MOBUTU

La situation qui prévaut actuellement en RDC rappelle la fin du règne du dictateur Mobutu Sese Seko, dans les années 90, souligne Thierry Vircoulon. « Le déclin du régime Mobutu a commencé avec le déclin des cours du cuivre », souligne-t-il, ajoutant que « le prix des matières premières que produit le Congo est à la baisse depuis plusieurs années ». « La grande faiblesse des kleptocraties, c'est de commencer à manquer d'argent », lance le chercheur. C'est d'ailleurs la crise économique davantage que la crise politique qui préoccupe la population, a déclaré à La Presse une habitante de Lubumbashi qui a demandé à ne pas être identifiée. « Le prix de la farine a doublé en deux semaines », illustre-t-elle, précisant qu'un sac vaut maintenant la moitié du salaire mensuel moyen d'un fonctionnaire. « Ce qui se passe aujourd'hui [la contestation] n'est pas très important par rapport au jour où les gens auront le ventre vide. »

ABSENCE DE TRADITION DÉMOCRATIQUE

Le risque que la situation dégénère inquiète certains observateurs, d'autant plus que la RDC n'a connu aucune transition politique pacifique depuis son indépendance de la Belgique, en 1960. Le premier président du Congo a été renversé en 1965 par Mobutu, qui a lui-même été chassé du pouvoir 32 ans plus tard par Laurent-Désiré Kabila, qui a été assassiné en fonction. Thierry Vircoulon craint que la contestation soit « réprimée très violemment par les forces de sécurité ». D'ailleurs, le chercheur n'exclut pas que des mouvements contestataires naissent « en province », loin de la capitale sous haute surveillance. Par contre, l'éventuelle chute du régime Kabila n'entraînerait cependant pas l'effondrement du pays, croit Thierry Vircoulon, qui estime que la RDC a maintenant « une opposition qui s'est structurée » et « un certain nombre de forces politiques présentes et qui sont toutes, d'après ce qu'elles disent, prêtes à aller aux élections ».

OTTAWA « RÉÉVALUERA » SES RELATIONS AVEC KINSHASA

Le Canada a annoncé hier soir qu'il s'affairait à revoir ses relations avec le gouvernement congolais en raison de la décision du président Joseph Kabila de demeurer en poste au terme de son mandat. « Le Canada déplore l'occasion manquée d'entreprendre une transition démocratique [en République démocratique du Congo] », a indiqué dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, sans toutefois préciser quelles mesures son gouvernement entend prendre dans l'immédiat. Le gouvernement canadien « rappelle aux autorités congolaises leur obligation, en cette période critique, de respecter les droits de la personne », se disant préoccupé par les rapports faisant état de « nombreuses arrestations et détentions arbitraires ». Ottawa « regrette profondément » que Kinshasa n'ait pas attendu l'issue de la médiation de la dernière chance amorcée par les évêques catholiques congolais avant d'annoncer la formation d'un nouveau gouvernement, dans la nuit de lundi à hier. Le Canada recommande par ailleurs à ses ressortissants d'éviter « tout voyage » en RDC.