L'opposition gambienne, enhardie par les pressions internationales, a appelé lundi Yahya Jammeh à céder immédiatement le pouvoir en renonçant à contester les résultats de l'élection présidentielle, une demande que doit appuyer mardi à Banjul une mission de chefs d'État d'Afrique de l'Ouest.

L'opposition a indiqué craindre que le recours devant la Cour suprême projeté par M. Jammeh et son parti ne lui permette de se maintenir en place au-delà de la fin de son mandat, prévue en janvier, après 22 ans de pouvoir sans partage sur ce petit pays de moins de 2 millions d'habitants.

La situation était calme en ce jour férié dans la capitale Banjul, quadrillée par les forces de sécurité depuis la déclaration télévisée de M. Jammeh vendredi soir revenant sur la reconnaissance de sa défaite au scrutin du 1er décembre face à l'opposant Adama Barrow et réclamant un nouveau vote.

« Je pense qu'il devrait démissionner maintenant », a déclaré lundi M. Barrow à l'AFP.

« Il a perdu l'élection, nous ne voulons pas perdre de temps », a-t-il ajouté, soulignant que la Cour suprême n'était plus au complet depuis plus d'un an et que désigner de nouveaux juges entraînerait inévitablement des délais supplémentaires.

La saisine de la Cour doit intervenir dans les dix jours suivant la proclamation des résultats, mais lundi étant férié, ce recours ne devrait être déposé que mardi, selon des juristes.

La coalition de l'opposition ne reconnaît « pas au président sortant le pouvoir constitutionnel, dans les derniers jours de sa présidence, de nommer des juges à la Cour suprême à la seule fin de recevoir son recours », a prévenu de son côté un de ses porte-parole, Mai Fatty.

La communauté internationale a condamné le revirement de M. Jammeh, le Conseil de sécurité l'exhortant samedi à « respecter le choix du peuple souverain de la Gambie et transférer, sans condition ni retard injustifié, le pouvoir au président désigné, Adama Barrow ».

Commission électorale incriminée

« Que le monde se préoccupe de la Gambie nous donne de la confiance et donnera de la confiance au peuple gambien », a souligné M. Barrow, à la veille de la mission prévue de chefs d'État de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CÉDÉAO).

Cette délégation veut rencontrer Yahya Jammeh pour « lui demander de quitter le pouvoir », a précisé une source au ministère sénégalais des Affaires étrangères.

La délégation est emmenée par la présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf, également présidente en exercice de la CÉDÉAO, et comprend ses homologues nigérian Muhammadu Buhari, sierra-léonais Ernest Bai Koroma et ghanéen John Dramani Mahama, qui a de son côté reconnu sa défaite vendredi à la présidentielle remportée par son rival et chef de l'opposition au Ghana.

Le représentant spécial de l'ONU en Afrique de l'Ouest, Mohamed Ibn Chambas, devrait également participer à cette mission, selon des sources diplomatiques à Banjul.

Mme Sirleaf a estimé samedi que le revirement de Yahya Jammeh était « inacceptable et menaçait la paix non seulement en Gambie, mais dans toute la sous-région d'Afrique de l'Ouest ».

Dans sa déclaration vendredi, M. Jammeh a assuré que « l'intervention de puissances étrangères ne changerait rien », prévenant qu'il ne tolérerait aucune protestation dans les rues.

« Tout comme j'ai loyalement accepté les résultats, en croyant que la Commission électorale était indépendante, honnête et fiable, je les rejette dans leur totalité », a-t-il affirmé, dénonçant des « erreurs inacceptables » de la part des autorités électorales.

Il a pointé une erreur de comptabilisation reconnue par la Commission électorale, ramenant l'écart entre M. Barrow et lui à quelque 19 000 voix seulement, et fait état d'« enquêtes » sur l'abstention révélant selon lui que de nombreux électeurs n'ont pas pu voter ou en ont été dissuadés par des informations erronées.

Mais le président de la Commission électorale, Alieu Momar Njie, qui avait salué le 2 décembre la « magnanimité » avec laquelle Yahya Jammeh a initialement reconnu sa défaite, a assuré lundi à l'AFP de la bonne foi de son institution.

« Nous ne dissimulions aucune erreur », a-t-il dit au sujet de la rectification effectuée le 5 décembre, réaffirmant que ces résultats révisés avaient été acceptés par toutes les parties concernées.