La Cour pénale internationale (CPI) a reconnu lundi l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba coupable de crimes contre l'humanité pour des meurtres et des viols commis par sa milice en Centrafrique en 2002-2003, le premier jugement de culpabilité pour l'utilisation du viol en tant que crime de guerre.

«La chambre déclare Jean-Pierre Bemba coupable en tant que personne faisant effectivement fonction de chef militaire», a affirmé la juge Sylvia Steiner, expliquant qu'il «agissait de fait en tant que commandant militaire et avait le contrôle effectif de ses troupes en Centrafrique pendant toute la durée de l'opération».

Ancien chef rebelle du nord de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba était en effet poursuivi, non en tant qu'auteur ou co-auteur, mais en vertu du principe de la «responsabilité du commandant».

La sentence sera prononcée à une date ultérieure par la CPI. Il risque jusqu'à 30 ans de détention ou la prison à perpétuité, si les juges estiment que l'«extrême gravité du crime» le justifie.

Âgé de 53 ans, l'ancien homme d'affaires, vêtu d'un costume sombre et d'une cravate lie-de-vin, semblait tendu en écoutant le prononcé du jugement.

Jean-Pierre Bemba avait plaidé non coupable lors de l'ouverture de son procès en novembre 2010, deux ans après son arrestation à Bruxelles, en vertu d'un mandat d'arrêt de la CPI. Il était accusé de trois crimes de guerre et de deux crimes contre l'humanité: meurtres, viols et pillages.

Quelque 1500 hommes en armes de l'ancien chef rebelle s'étaient rendus en Centrafrique en octobre 2002 pour soutenir le président Ange-Félix Patassé, victime d'une tentative de coup d'État menée par le général François Bozizé.

Là, ils ont violé, pillé et tué, a assuré la juge, égrenant une longue liste de viols, souvent accompagnés d'autres violences, commis par les troupes de Jean-Pierre Bemba.

C'est la première affaire à la Cour pénale internationale qui se concentre sur l'utilisation de viols et violences sexuelles en tant qu'armes de guerre et le premier procès où un chef militaire est tenu responsable des atrocités commises par ses hommes même s'il ne les a pas ordonnées.

«L'important besoin de justice»

Ce jugement «est un rappel vibrant aux supérieurs - militaires et civils - qu'ils ont la responsabilité d'éviter et de faire cesser les attaques commises par leurs soldats sur des civils», a assuré Géraldine Mattioli-Zeltner, de l'organisation Human Rights Watch.

«Ce premier verdict coupable à la CPI pour violences sexuelles met en lumière l'utilisation du viol comme arme de guerre», a-t-elle ajouté, évoquant «l'important besoin de justice» pour ces crimes en République démocratique du Congo, d'où Jean-Pierre Bemba est originaire.

Selon la défense, il n'y avait «aucune preuve d'un ordre venant de M. Bemba vers ses troupes en Centrafrique», mais les juges ont estimé que par téléphone, radios ou téléphone satellite, Jean-Pierre Bemba était en «contact constant» avec ses troupes.

«Il avait une ligne directe de communication, il pouvait donner des ordres et c'est ce qu'il a fait», a affirmé la juge Steiner: «Bemba avait le contrôle effectif de ses troupes».

La juge a notamment raconté comment des soldats avaient violé le témoin P22, sa femme et ses trois filles lors d'une attaque en novembre 2002.

Une autre femme avait été violée par douze soldats alors que des fillettes de 12 et 13 ans avaient été victimes de quatre soldats.

Plus de 5200 victimes ont été reconnues dans cette affaire, le plus grand groupe dans l'histoire de la CPI.

François Bozizé avait finalement renversé Ange-Félix Patassé en 2003 avant d'être lui-même renversé en mars 2013 par la rébellion à dominante musulmane de la Séléka, ce qui a précipité la Centrafrique dans un cycle de violences intercommunautaires. Elles ont culminé fin 2013 par des massacres à grande échelle et le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes.

Le procès a été entaché d'accusations de subornations de témoins, menant même à l'arrestation de plusieurs proches de M. Bemba.

C'est le quatrième jugement pour la CPI, fondée en 2002 pour juger les pires crimes commis à travers le monde, et le premier contre un ancien vice-président.

Un jugement «historique»

La procureure de la CPI a salué lundi un jugement «historique» de la Cour.

«Je crois que c'est un jour très important pour la justice pénale internationale surtout en ce qui concerne les crimes sexuels», a affirmé à l'AFP Fatou Bensouda, ajoutant que ce jour était «historique».

«Les victimes ont attendu très longtemps pour que justice soit rendue, et je pense qu'aujourd'hui avec ce jugement cela a été le cas», a assuré Fatou Bensouda.

«C'est important, car les commandants militaires pourraient penser qu'ils ne sont pas responsables des crimes commis sur le terrain», a-t-elle expliqué, soulignant avoir montré dans le cas de M. Bemba qu'il «pouvait arrêter la commission des crimes ou les punir, car il avait le contrôle effectif de ses troupes».