«On a peur. Tout le monde a peur. On est déjà dans une guerre civile», s'inquiète Martine Sbushimike, une Burundaise d'origine. Rongée par l'angoisse de perdre des proches, la diaspora canadienne lance un cri du coeur à la communauté internationale pour intervenir au Burundi, alors que le spectre d'une guerre civile, voire d'un génocide, planait dans la capitale samedi.

Le petit pays d'Afrique central, voisin du Rwanda, s'enlise dans le chaos depuis que le président Pierre Nkurunziza a décidé de briguer un troisième mandat, en avril dernier, ce qui va à l'encontre de la Constitution adoptée au terme d'une sanglante guerre civile. Depuis, plus de 200 000 citoyens ont pris la fuite et au moins 200 personnes ont été tuées. 

La crise semblait avoir atteint un nouveau point d'orgue samedi dans la capitale burundaise. Sept personnes auraient été tuées lors d'une attaque dans un bar, rapportaient des médias locaux, photos à l'appui. Les populations de quartiers entiers de Bujumbura s'enfuyaient massivement, samedi soir, même après la fin de l'ultimatum, lancé par le président Nkurunziza aux opposants pour «déposer les armes». Interpelé par la communauté internationale, le régime a tenté de calmer le jeu hier en martelant qu'il «n'y aura pas de guerre ni de génocide» au Burundi.

Quatre cents membres de la diaspora burundaise québécoise et canadienne se sont réunis samedi au Collège Vanier, à Montréal, pour un rassemblement organisé par l'Alliance des Burundais du Canada (ABC). Sur place, la crise au Burundi était sur toutes les lèvres. Selon les organisateurs, de nombreuses personnes ne sont pas venues à l'événement pour ne pas mettre en péril la vie de leur famille si jamais elles étaient identifiées par le régime burundais. Peu de gens étaient enclins à parler à La Presse par crainte de représailles. 

Amilcar Ryumeko, porte-parole de l'ABC, a perdu son oncle cette semaine, assassiné froidement avec sa femme dans son commerce. Jour après jour, on l'informe que des citoyens sans histoire sont tués dans des circonstances nébuleuses. «Quiconque dit ne pas être d'accord avec la candidature [du président] est considéré comme un insurgé», déplore-t-il. Selon lui, tous les signes montrent que le régime s'apprête à «mater dans la violence toute contestation». 

Plusieurs hauts placés du régime ont commencé à utiliser le mot «travailler» dans leurs discours. Un terme explosif utilisé durant le génocide rwandais. Le président du Sénat, il y a deux semaines, menaçait même de «pulvériser les quartiers» contestataires de Bujumbura, tandis que le numéro 2 du régime soufflait sur les braises génocidaires en laissait entendre que les Hutus pourraient être appelés à se battre contre les contestataires tutsis. «Le président est en train d'ouvrir les portes de l'enfer. Le Burundi, tout comme le Rwanda, a connu des crises interethniques. Mais le conflit actuel n'est pas du tout ethnique, il est politique», estime Amilcar Ryumeko.

Menacé d'exécution, Bob Rugurika, célèbre directeur de la Radio publique africaine, a été forcé à l'exil en raison de ses reportages. «Le régime de Nkurunziza est devenu un régime sanguinaire [...] qui s'active à ethniciser la crise en vue de distraire l'opinion internationale. La crise est purement politique», a affirmé à La Presse le journaliste, de passage à Montréal samedi. Selon lui, la communauté internationale et la population doivent s'unir pour expulser pacifiquement le président. 

La communauté internationale doit absolument intervenir pour éviter des violences ethniques à grande échelle, estime Appolonie Simbizi, ex-ambassadrice du Burundi au Canada. «[Au Rwanda], les gens ont crié, mais personne n'est intervenu pour dire non à la violence, alors ça s'est embrasé. Ça pourrait être la même chose pour le Burundi», soutient l'ex-diplomate, ébranlée par les meurtres gratuits d'enfants et de familles entières.

La situation au Burundi est «catastrophique», lance Emile Ouédraogo, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. «Le spectre d'une véritable guerre civile plane sur ce pays», ajoute-t-il. Selon l'expert, la communauté internationale doit s'engager dans un «discours ferme» pour dénouer la crise sans violence. «Sinon le monde risque de se retrouver, une fois encore, surpris par un génocide. Ce mot est alarmant, mais tous les signaux sont là pour nous conduire vers une catastrophe irréversible.»

Le Conseil de sécurité de l'ONU se réunira demain pour discuter de l'escalade des tensions dans ce pays.

- Avec AFP