Le calme régnait jeudi à Brazzaville à la veille d'une journée à risques, l'opposition appelant à un grand rassemblement dans la capitale congolaise contre le référendum de dimanche qui pourrait permettre au président Denis Sassou Nguesso de se représenter en 2016.

Vent debout contre ce qu'elle qualifie de «coup d'État constitutionnel», l'opposition avait tenté mardi d'organiser un rassemblement, mais celui-ci a été interdit par le pouvoir et des heurts entre forces de l'ordre et manifestants à Brazzaville et Pointe-Noire, la capitale économique du pays, ont fait entre quatre morts selon les autorités et une vingtaine de tués selon une coalition d'opposition.

La journée de mercredi avait été marquée par des échauffourées sporadiques et l'interpellation pendant quelques heures de six dirigeants d'opposition. Mais Brazzaville avait retrouvé un calme précaire, une tendance qui s'est confirmée jeudi, avec toutefois des disparités notables selon les quartiers.

Dans le nord et le centre de la capitale, épargnés par les heurts meurtriers de mardi, les gens vaquaient à leurs occupations comme de coutume et les magasins restés fermés mercredi ont tous rouvert, selon le correspondant de l'AFP.

La situation était bien différente dans les quartiers Bacongo et Makélékélé (sud), où la quasi-totalité des commerçants sont restés terrés chez eux après les pillages des jours précédents. Si les transports en commun avaient repris dans ces quartiers, les services publics et administrations y restent cependant fermés.

La population de ces quartiers pauvres oscille surtout entre lassitude et désintérêt pour la chose publique.

«Nous sommes dans un non État», constate Aimé Ouakouboukoulou, jardinier de Bacongo, faisant référence à la fermeture des administrations.

«Nous voulons que la paix revienne parce que le déchirement ne nous amène nulle part», ajoute cet homme de 44 ans, incapable selon ses dires de faire face aux dépenses médicales pour sa femme qui vient d'accoucher.

«Virage à 90 degrés»

Les Congolais sont appelés à se prononcer dimanche sur un projet de nouvelle constitution faisant sauter les deux verrous empêchant M. Sassou de briguer un troisième mandat en 2016 : la limitation à deux du nombre des mandats présidentiels et l'âge maximal de 70 ans pour être candidat à la magistrature suprême.

Âgé de 72 ans cette année, M. Sassou cumule plus de 30 ans à la tête du Congo, petit pays d'Afrique centrale de 4,4 millions d'habitants. Riche en pétrole, cette ancienne colonie française où le groupe Total est solidement implanté, est classée par l'ONU comme un pays au «développement humain moyen», mais le chômage y fait des ravages chez les jeunes.

M. Sassou a dirigé le pays à l'époque du parti unique, de 1979 jusqu'aux élections pluralistes de 1992, qu'il a perdues. Revenu au pouvoir en 1997 à l'issue d'une violente guerre civile, il a été élu président en 2002 et réélu en 2009.

Deux coalitions d'opposition appellent à la désobéissance civile et à un nouveau rassemblement vendredi, dernier jour de la campagne référendaire, afin de contraindre le pouvoir à renoncer à cette consultation populaire. On ignorait jeudi après-midi si ce rassemblement avait été autorisé.

«Si ce n'est que pour la paix, je préfère que Denis Sassou Nguesso reste là parce que jusque-là, il nous a permis d'envoyer nos enfants à l'école et à nous-mêmes de travailler pour changer l'image de ce pays», a déclaré à l'AFP Christine Malonga, fonctionnaire, dans une rue de Bacongo.

L'internet mobile, les services de textos et le signal local en FM de la radio française RFI - une des stations les plus écoutées du pays - sont restés coupés jeudi pour le troisième jour de suite.

Commentant la situation au Congo, le président français François Hollande a estimé mercredi à Paris que M. Sassou pouvait «consulter son peuple», mais qu'il lui fallait ensuite «veiller à rassembler, respecter et apaiser».

Pour Eugène, quinquagénaire qui se présente comme un «vieux diplômé sans emploi», «François Hollande a fait un virage à 90 degrés. On a compris qu'il veut cautionner la confiscation de la liberté du peuple congolais».

Constitutions africaines amendées et mandats illimités

À l'instar du Congolais Denis Sassou Nguesso, de nombreux chefs d'État africains ont tenté de se maintenir au pouvoir grâce à des réformes constitutionnelles visant notamment à supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels.

De nombreux présidents ont réussi à se maintenir au pouvoir, comme le Burundais Pierre Nkurunziza, d'autres ont échoué, à l'exemple du Burkinabè Blaise Compaoré.

Précédentes tentatives réussies :

BURUNDI :

La candidature en avril 2015 de Pierre Nkurunziza à un 3e mandat, considérée par l'opposition comme contraire à la Constitution, a plongé le pays dans une grave crise, marquée par des manifestations étouffées via une sanglante répression, et une tentative déjouée de coup d'État. Nkurunziza a été reconduit au pouvoir en juillet, lors d'une présidentielle jugée non crédible au niveau international.

DJIBOUTI :

En avril 2010, le Parlement, entièrement acquis à la cause d'Ismaël Omar Guelleh, a adopté une révision constitutionnelle supprimant toute limitation au nombre de mandats présidentiels. Guelleh, au pouvoir depuis 1999, a pu briguer un 3e mandat en 2011.

ALGÉRIE :

En novembre 2008, le Parlement a supprimé la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux en plébiscitant un projet de révision de la Constitution. Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, a été réélu en 2009 puis en 2014.

CAMEROUN :

En avril 2008, l'Assemblée a adopté une révision constitutionnelle supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a été réélu en octobre 2011 pour un 6e mandat.

OUGANDA :

En juillet 2005, une réforme de la Constitution a supprimé toute restriction sur le nombre de mandats pour le chef de l'État. Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, a été réélu en 2006 puis en 2011.

TCHAD :

En juin 2005, une révision constitutionnelle adoptée lors d'un référendum controversé a supprimé la limitation à deux quinquennats présidentiels. Idriss Deby Itno, au pouvoir depuis 1990, a été réélu en 2006 puis en 2011.

TOGO :

En décembre 2002, un amendement à la Constitution fait disparaître la limite de deux mandats présidentiels maximum, permettant à Gnassingbé Eyadéma, au pouvoir depuis 1967, de briguer un nouveau mandat en 2003.

En février 2005, après son décès, une modification de la Constitution a permis à son fils, Faure Gnassingbé d'être investi président. Faure Gnassingbé a été réélu pour un 3e mandat en avril 2015.

ZIMBABWE :

Une nouvelle Constitution adoptée en 2013 a permis à Robert Mugabe, au pouvoir depuis 1980, de se porter candidat à la présidentielle, qu'il a remportée.

ANGOLA :

L'adoption en 2010 d'une modification de la Constitution prévoyant l'élection du président au suffrage indirect, par les députés, a permis à José Eduardo dos Santos, au pouvoir depuis 1979, d'être investi en 2012 après la victoire de son parti aux législatives.

Enfin, certains chefs d'État ont modifié la Constitution pour imposer une présidentielle à un seul tour, comme au Gabon en 2003.

Tentatives avortées :

Au BURKINA FASO, en octobre 2014, l'annonce d'un projet de révision constitutionnelle qui aurait permis à Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans, de se représenter, a jeté des centaines de milliers de Burkinabè dans la rue. Des émeutes ont ébranlé le pays et Compaoré a dû abandonner le pouvoir.

En ZAMBIE, Frederick Chiluba a dû y renoncer en 2001 sous la pression populaire et au MALAWI, le Parlement s'est opposé en 2002 à ce que Bakili Muluzi brigue un 3e mandat en 2004.

Enfin, des dirigeants africains sont aussi soupçonnés par leur opposition de chercher à modifier ou contourner la Constitution pour pouvoir briguer un nouveau mandat.

En RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO, Joseph Kabila est soupçonné de chercher à contourner l'interdiction constitutionnelle qui lui est faite de se représenter.

Au RWANDA, le Parlement a donné à la mi-août son feu vert à une réforme constitutionnelle qui permettrait à Paul Kagame de briguer un 3e mandat en 2017.