Khalid Gueddar ne rigole plus. Alors qu'il s'apprêtait à lancer un nouveau magazine satirique au Maroc, le caricaturiste a été condamné, la semaine dernière, à trois mois de prison ferme pour une histoire qu'il croyait oubliée.

Une nouvelle qui tombe au moment où plusieurs autres journalistes marocains sont visés par des décisions judiciaires qui minent leur liberté d'expression, accusent les défenseurs des droits de l'homme.

Pour Khalid Gueddar, joint par La Presse mercredi au Maroc, il n'y a pas de hasard. «Ils n'ont rien d'autre pour me coincer», dit-il. En 2012, il avait été accusé d'avoir été en état d'ébriété sur la voie publique, ce qu'il avait toujours contesté. Trois ans plus tard - c'est-à-dire la semaine dernière -, ses avocats et lui ont appris «sans avoir reçu de citation à comparaître», dit-il, qu'il avait été condamné à trois mois de prison ferme. Il a déjà fait savoir qu'il ne ferait pas appel de la décision parce qu'il ne fait pas confiance à la justice de son pays.

«Je considère que tout ça, c'est une guerre contre les journalistes de ce pays qui gueulent pour dire que la liberté d'expression est en danger», dit Khalid Gueddar, qui a aiguisé ses crayons en travaillant avec l'équipe de Charlie Hebdo il y a quelques années.

Youssef Raïssouni, de l'Association marocaine des droits humains, dit constater une «régression dans la situation des droits de l'homme au Maroc». «On est dans une atmosphère caractérisée par une répression de la presse indépendante et de la presse engagée», observe l'homme, joint cette semaine à Rabat.

«Ces journalistes ne cessent de critiquer les autorités. Ils dérangent beaucoup», dit M. Raïssouni, soulignant que même son association n'a plus le droit d'organiser des événements publics.

Khalid Gueddar n'est pas le seul journaliste à avoir eu affaire à la justice marocaine depuis un mois. Le directeur d'un journal arabophone en ligne (goud.ma) a été accusé de diffamation et condamné en juin à payer 500 000 dinars (70 000$ CAN) au secrétaire du roi. La semaine dernière, un autre directeur de journal a dû verser l'équivalent de 14 000$ CAN à la police en plus d'écoper de quatre mois de prison après avoir publié des informations sur la mort d'un militant politique dans un commissariat de police d'Al Hoceïma.

Grève de la faim

Par ailleurs, le journaliste Ali Lmrabet s'est rendu en Suisse et a entamé une grève de la faim le 24 juin devant l'ONU pour protester contre le refus du Maroc de renouveler ses papiers d'identité officiels, essentiels pour récupérer sa licence de journaliste. Ali Lmrabet avait été interdit de journalisme pendant 10 ans en 2005 et comptait célébrer son retour en lançant le magazine satirique avec Gueddar. Le Maroc considère que M. Lmrabet ne vit pas avec son père à Tétouan (en sol marocain) comme il le clame, mais plutôt en Espagne, avec sa femme et ses enfants.

Le lancement du magazine est donc compromis, et Khalid Gueddar lui-même ne sait pas s'il doit s'attendre à voir les policiers débarquer chez lui pour l'emmener en prison. «Je suis là, je reste chez moi. S'ils viennent, je leur souhaiterai la bienvenue!»