Le pèlerinage juif de la Ghriba, en Tunisie, a commencé mercredi dans une ambiance festive en dépit d'une mise en garde d'Israël contre des projets d'attaques sur le sol tunisien et une vigilance accrue après l'attentat du Bardo.

Au milieu des youyous et des chants, près de 200 pèlerins, selon une journaliste de l'AFP, se sont rendus dans cette synagogue de Djerba, la plus ancienne d'Afrique. Ils ont prié, allumé des cierges et déposé des oeufs barrés de voeux dans une cavité au fond du lieu de culte, après avoir bu une gorgée de boukha (alcool de figue) et reçu la bénédiction d'un rabbin.

En chantant l'hymne national tunisien, ils ont ensuite porté la «Menara», un objet de culte monté sur un tricycle et décoré de foulards, lors d'une courte procession étroitement encadrée par la police.

«Je ne pouvais pas rater cette ambiance. Il est important pour moi de faire la ziara (pèlerinage) quels que soient les risques», a expliqué à l'AFP Janet, une Israélienne de 54 ans d'origine tunisienne.

L'affluence reste cependant loin des quelque 8000 personnes qui se pressaient avant l'attentat-suicide au camion piégé de 2002, qui avait fait 21 morts dont une majorité de touristes allemands.

En plus des pèlerins tunisiens, seules quelques centaines de personnes venues de France, d'Israël, d'Italie mais aussi de Grande-Bretagne et des États-Unis sont attendues au pèlerinage qui s'achève jeudi.

Cette année, le rassemblement fait l'objet d'une vigilance accrue après l'attentat du 18 mars au musée du Bardo à Tunis, revendiqué par l'organisation État islamique (EI), dans lequel 21 touristes étrangers et un policier tunisien ont été tués.

«Avant l'attentat (du Bardo), on s'attendait au retour du pèlerinage (à ses niveaux de fréquentation d'avant 2002). Après l'attentat -c'est tout à fait logique et normal- beaucoup de gens ont eu peur», a indiqué René Trabelsi, l'un des organisateurs de l'évènement.

Israël a en outre affirmé, quelques jours avant le pèlerinage, disposer d'informations faisant état de «projets d'attentats terroristes contre des objectifs israéliens ou juifs en Tunisie», en conseillant de ne pas se rendre dans ce pays.

Des déclarations «pas innocentes» et infondées, a sèchement répliqué le ministre tunisien de l'Intérieur Najem Gharsalli. Lors d'une conférence de presse mardi, le responsable a estimé que l'État hébreu entendait «affecter le pèlerinage» et «nuire à la réputation de la Tunisie».

Le pays compte aujourd'hui près de 1500 juifs, dont la majorité vit à Djerba, contre 100 000 en 1956 avant l'indépendance.

«Tous les juifs doivent venir et ne pas prêter attention à des mensonges», estime Janet, tandis que Marc, un Français, juge que «le terrorisme existe partout». «Et avec ce dispositif sécuritaire, ils (les djihadistes) ne vont pas venir faire les cow-boys».

«Coexistence et tolérance»

Des barrages ont été installés aux accès de Djerba tandis que le périmètre de la synagogue était bouclé et son entrée gardée par plusieurs camions de police et un blindé de l'armée.

Un responsable du ministère de l'Intérieur a démenti auprès de l'AFP l'existence de menaces à l'encontre de la Ghriba, et M. Gharsalli a assuré dimanche depuis Djerba que la Tunisie était «capable de protéger les juifs et les visiteurs de la Ghriba mieux que d'autres pays». «Les plus hauts degrés» de sécurité sont en place pour le pèlerinage, a insisté mardi le ministre.

D'après M. Gharsalli, la réussite du pèlerinage est importante car elle renforcera l'«image de coexistence, de civilisation et de tolérance» de la Tunisie.

«La Tunisie est une terre sûre, contrairement à ce qui peut se dire. Vous voyez très bien qu'ici ce n'est pas plus dangereux que d'autres endroits et que c'est même plus sûr que d'autres endroits», a renchéri la ministre de la Culture Latifa Lakhdhar, venue mercredi à la Ghriba tout comme sa collègue du Tourisme, Salma Elloumi Rekik.

Ces déclarations rassurantes n'ont pas encore eu d'effet véritable sur la fréquentation.

«On doit rebâtir ce pèlerinage comme (on doit rebâtir) notre tourisme», affecté par l'instabilité qui a suivi la révolution de janvier 2011, a estimé M. Trabelsi.

Photo: AP