Ils disent ne pas craindre les balles de la police. Chaque jour, on voit croître le nombre de manifestants qui descendent dans les rues pour crier leur ras-le-bol face à un président qui s'accroche au pouvoir. Après 10 ans de paix fragile, le Burundi craint aujourd'hui de retomber dans la guerre civile.

«Nous marchons en connaissant les risques. Nous savons que chacun d'entre nous peut être tué à tout moment.»

Au bout du fil, Pacifique Nininahazwe paraît déterminé: les manifestants ne quitteront pas la rue tant que le président burundais Pierre Nkurunziza s'accrochera au pouvoir.

Ce juriste est le porte-parole du collectif Halte au troisième mandat, qui s'oppose à la candidature du président à sa propre succession, annoncée le 25 avril.

Depuis, Bujumbura, la petite capitale burundaise sise sur les berges de l'immense lac Tanganyika, a des allures de ville assiégée.

En dépit de l'interdiction de manifester prononcée par le gouvernement, des milliers de personnes se réunissent quotidiennement dans les quartiers périphériques de Bujumbura et tentent de gagner le centre-ville.

Face à eux, des policiers les en empêchent. Lundi, ils ont tiré à balles réelles, faisant quatre morts, portant le total à 14 depuis le début des manifestations. Plus de 600 personnes ont également été arrêtées. «Ils tirent sans sommation, c'est terrible!», dit Pacifique Nininahazwe.

Malgré la violente répression, les manifestants gardent le cap et projettent d'atteindre le centre-ville et la symbolique place de l'indépendance aujourd'hui ou demain.



Médias muselés

Dans la foulée de la contestation, le gouvernement burundais a fermé la populaire radio indépendante RPA, la semaine dernière.

«Ils sont venus avec un mandat de perquisition et de fermeture en accusant [la radio] d'incitation à l'insurrection», s'exclame Innocent Muhozi, président de l'Observatoire de la presse burundaise.

Deux autres radios indépendantes ont vu leurs émetteurs vers l'intérieur du pays coupés, tandis que la Maison de la presse, qui héberge de petits médias, a aussi été fermée par les autorités.

«Il n'y a pas de recours possible, le système judiciaire est totalement sous le contrôle de l'exécutif», soutient Innocent Muhozi.

L'accès à divers réseaux sociaux et applications de communication, notamment Facebook et WhatsApp, a également été coupé.

Échec «sur toute la ligne»

Pour calmer la situation, l'entourage du président a proposé de libérer les militants arrêtés et de rouvrir les radios fermées en échange de l'arrêt des manifestations.

«Pour nous, il n'y a qu'une seule condition pour qu'on cesse les manifestations, c'est que le président renonce [à solliciter un troisième mandat]», affirme Pacifique Nininahazwe, rappelant que le Burundi «est en arrière sur tous les plans» en matière de développement.

«C'est un président qui a piétiné nos libertés, qui a emprisonné beaucoup de gens, qui a un pouvoir extrêmement corrompu, au cours duquel beaucoup de Burundais ont été assassinés. Comment pouvons-nous continuer à être dirigés par un homme qui a échoué sur toute la ligne?», martèle Pacifique Nininahazwe

Jugement sous la menace

La cour constitutionnelle du Burundi a estimé dans un arrêt rendu hier que la candidature du président au scrutin prévu le 26 juin n'est «pas contraire à la Constitution du Burundi».

Le vice-président de la Cour n'a cependant pas signé l'arrêt en question et a plutôt fui au Rwanda, affirmant que la majorité de ses confrères jugeaient en réalité la candidature anticonstitutionnelle, mais qu'ils avaient cédé sous des menaces de mort.

La veille, le secrétaire d'État américain John Kerry, de passage en Afrique, avait estimé que la candidature du président du Burundi à un troisième mandat allait «à l'encontre de la Constitution de ce pays».

Il y a une semaine, le Canada s'était dit «troublé» par la situation au Burundi et le ministre des Affaires étrangères du Canada, Rob Nicholson, avait exhorté par voie de communiqué «le Burundi à respecter les accords d'Arusha et ses engagements internationaux».

Inquiétudes à Montréal

Les Burundais d'ici suivent avec «inquiétude» la situation dans leur pays d'origine et pressent le gouvernement du Burundi de mettre «un terme à la répression», indique le porte-parole du Rassemblement de la diaspora burundaise de Montréal, Amilcar Ryumeko.

La mort d'un jeune de 17 ans au début des manifestations a été un choc. «Ce jeune-là aurait pu être notre frère, notre cousin, notre enfant.»

Quelque 4000 Burundais vivent au Québec, dont près de la moitié à Montréal.