La police burundaise a tiré à balles réelles lundi contre les manifestants opposés à un troisième mandat de Pierre Nkurunziza, faisant quatre morts, alors que Washington a dénoncé la candidature du chef de l'État à la présidentielle de juin.

Nouveau signe des tensions qui montent dans ce petit pays de l'Afrique des Grands Lacs: le vice-président de la Cour constitutionnelle, appelée à se prononcer sur la légalité d'un nouveau mandat de M. Nkurunziza, a fui le Burundi, dénonçant «d'énormes pressions et même des menaces de mort» sur les membres de l'institution.

Depuis Nairobi, le secrétaire d'État américain John Kerry a jugé que cette candidature allait «à l'encontre de la Constitution» burundaise, et espéré que M. Nkurunziza pourrait encore renoncer.

Lundi, la Croix-Rouge burundaise a comptabilisé trois morts et 46 blessés. Mais «un quatrième manifestant a succombé à ses blessures», a déclaré une figure de la société civile, le défenseur des droits de l'Homme Pierre Claver Mbonimpa.

Depuis le début des manifestations le 26 avril, treize personnes ont été tuées: dix protestataires, deux policiers et un soldat.

Après deux jours de trêve, les manifestants sont de nouveau descendus lundi dans les rues de quartiers périphériques de Bujumbura, où la police tente de les cantonner pour les empêcher de faire une démonstration de force au centre-ville.

Plusieurs dizaines de manifestants, rapidement dispersés par la police, ont malgré tout réussi pour la première fois à gagner la place de l'Indépendance en plein centre.

Des journalistes de l'AFP ont vu la police lancer des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes, mais aussi tirer à balles réelles, parfois sans sommation, contre les manifestants dans au moins deux quartiers de la capitale, Musaga (sud) et Nyakabiga (est). Ils ont vu plusieurs manifestants blessés par balles, et également des policiers touchés par des jets de pierre.

Le porte-parole de la police, Livoire Bakundukize, a affirmé que «quinze policiers» avaient été «blessés par l'explosion d'une grenade provenant des manifestants». Il a dit «ne pas être au courant» de tirs à balles réelles des policiers, mais a ajouté que «quand les gens sont attaqués à la grenade, les réactions peuvent être violentes».

«Terroristes»

«C'est grave ce qu'il se passe aujourd'hui», a déclaré M. Mbonimpa. Depuis ce week-end, le gouvernement qualifie de «terroristes» et d'«ennemis du pays» les manifestants et a promis de les traiter comme tels.

Désiré, un manifestant chômeur de 20 ans, a aussi fustigé l'attitude de la police: «Ils sont censés faire respecter la loi et ils protègent celui qui viole notre Constitution».

Pour les contestataires, un troisième mandat de Pierre Nkurunziza, élu deux fois en 2005 et 2010, et désigné candidat de son parti, le Cndd-FDD, à la présidentielle du 26 juin, serait inconstitutionnel et contraire à l'accord d'Arusha qui avait ouvert la voie à la fin de la guerre civile (1993-2006). L'accord limite à deux les mandats présidentiels.

Le camp Nkurunziza juge à l'inverse la démarche parfaitement légale et a demandé de trancher à la Cour constitutionnelle, qui devrait se prononcer dans les prochains jours.

Avant de quitter lundi le pays, le vice-président de la Cour, Sylvère Nimpagaritse, a affirmé à l'AFP qu'une majorité des sept juges de la haute juridiction estimaient inconstitutionnelle la candidature de M. Nkurunziza, mais s'étaient vu pressés de signer un arrêt «imposé de l'extérieur».

Les divisions sur le troisième mandat se retrouvent jusqu'au sein de l'armée, qui depuis le début des manifestations interdites par le gouvernement a joué la neutralité sur le terrain.

Le ministre de la Défense, le général Pontien Gaciyubwenge, a demandé que cessent «les atteintes aux droits» constitutionnels des Burundais, faisant apparemment allusion à celui de manifester pacifiquement. Mais le chef d'état-major, le général Prime Niyongabo, proche de Pierre Nkurunziza, a garanti que les militaires resteraient loyaux aux autorités.

L'armée, dont l'attitude reste la grande inconnue si la situation devait dégénérer, a, comme la police, été reconstituée au sortir de la guerre civile.

Aux termes de l'accord d'Arusha, chacun des deux corps est censé respecter une parité ethnique dans ses rangs, dans un pays très majoritairement peuplé de Hutu.

L'armée, qui passe pour mieux respecter cette contrainte, est considérée comme plus neutre et mieux respectée par la population qu'une police jugée aux ordres du pouvoir.

Mais elle n'en est pas moins tiraillée du fait de sa composition ethnique - elle est faite de chefs d'ex-rébellions hutu comme le Cndd-FDD et d'anciens officiers de l'armée tutsi opposés pendant la guerre civile -, mais aussi de clivages politiques.