Le président burundais Pierre Nkurunziza a été désigné samedi par son parti candidat à l'élection présidentielle du 26 juin, au risque d'une confrontation avec l'opposition qui estime qu'un éventuel troisième mandat serait inconstitutionnel.

À l'annonce de cette candidature, les États-Unis ont déclaré regretter «une importante occasion manquée» pour la démocratie et ont menacé les autorités burundaises de prendre des sanctions si le processus électoral n'était pas régulier.

L'opposition a appelé à des manifestations «pacifiques» dès dimanche afin de contrer ce qu'elle qualifie de «coup d'État» et de contraindre le président Nkurunziza à renoncer à un troisième mandat.

«Je n'accepte pas la candidature de Nkurunziza, elle viole l'accord (de paix) d'Arusha, elle viole la Constitution du Burundi et elle risque de plonger le Burundi dans le chaos», a déclaré à l'AFP le principal opposant burundais, Agathon Rwasa.

Les tensions se cristallisent sur la question de cet éventuel troisième mandat et font craindre aux observateurs que le pays ne replonge dans la violence.

L'opposition et de nombreux pans de la société civile jugent qu'un troisième mandat serait inconstitutionnel et contraire aux accords d'Arusha, qui ont ouvert la voie à la fin de la longue guerre civile burundaise (1993-2006).

«Cette troisième candidature de Nkurunziza est illégale, viole la Constitution. Nous allons manifester contre, à partir de demain matin, en silence et sans rien casser», a déclaré à l'AFP le président de la principale organisation de défense des droits de l'Homme burundaise (Aprodeh), Pierre-Claver Mbonimpa.

Le gouvernement a multiplié les mises en garde contre toute tentative de «soulèvement» et a interdit les manifestations à partir de samedi dans tout le pays.

Les autorités ont donné le ton dès la semaine dernière: une soixantaine de personnes ont été arrêtées et inculpées de «participation à un mouvement insurrectionnel», infraction passible de la prison à perpétuité, lors de premiers mouvements de rue contre ce troisième mandat annoncé.

Depuis plusieurs mois, la communauté internationale multiplie les appels à l'apaisement. L'histoire postcoloniale de cet ex-protectorat belge, indépendant depuis 1962, a été marquée par des massacres interethniques.

Un «militant» appelé Pierre Nkurunziza

Sans grande surprise, le chef du parti au pouvoir Cndd-FDD, Pascal Nyabenda, a annoncé samedi que «le militant» qui «a été choisi pour nous représenter aux élections est Pierre Nkurunziza», à l'issue d'un congrès réunissant 900 délégués, dont le chef de l'État, à Bujumbura, quadrillée pour l'occasion de militaires et de policiers.

Les ambassadeurs de Russie et de plusieurs pays africains ont assisté au congrès, en l'absence en revanche de tout représentant diplomatique occidental.

Ex-chef rebelle, grand sportif et protestant «born again», Pierre Nkurunziza, 51 ans, est à la tête de l'État depuis 2005 et avait été réélu en 2010. Sa désignation par le Cndd-FDD ne constitue pas une surprise tant il n'a jamais caché son intention de briguer un troisième mandat.

Dans le petit pays d'Afrique des Grands Lacs, où la société civile est très active, un bras de fer semble donc s'annoncer.

Aucun des avertissements lancés ces derniers mois contre les risques de dérapages en cas de candidature de Pierre Nkurunziza par la communauté internationale n'aura porté leurs fruits.

«Nous regrettons cette importante occasion manquée, mais le dur travail de construction des institutions et des pratiques démocratiques doit continuer», a déclaré Marie Harf, porte-parole du département d'État américain.

Les élections présidentielle et législatives burundaises doivent se dérouler «dans un environnement dépourvu de menaces, d'intimidation ou de violence», a dit la porte-parole, indiquant clairement que Washington était prêt, dans le cas contraire, à prendre des «mesures ciblées» contre les responsables.

Frondeurs évincés

Pour assurer son investiture à Pierre Nkurunziza, le camp du chef de l'État est allé jusqu'à faire le ménage au sein du parti présidentiel, divisé.

Quelque 130 hauts cadres «frondeurs», ouvertement opposés à ce troisième mandat, ont été évincés ces dernières semaines. Certains ont été emprisonnés, d'autres ont choisi la clandestinité, disant craindre «pour leur vie».

Le Burundi, un des pays les plus pauvres de la planète, qui vit sous perfusion de l'aide internationale, se remet à peine de sa guerre civile.

À travers le pays, la population craint désormais une répétition des violences.

D'autant que les jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, accusés par l'ONU d'être une «milice» et de multiplier les intimidations et exactions à l'approche des élections, n'ont pas caché leur intention d'en découdre si l'on empêchait in fine leur champion, Pierre Nkurunziza, de se représenter.

Plusieurs milliers de Burundais ont d'ailleurs déjà fui au Rwanda voisin, terrorisés par les menaces des jeunes du Cndd-FDD qui, disent-ils, traquent les opposants au président sortant.