Mohammadu Buhari, le nouveau président nigérian, va devoir «gagner la paix» en développant le nord du Nigeria et non avoir une approche strictement militariste de la lutte contre Boko Haram, actuellement en perte de vitesse, affirment des analystes.

«La force militaire ne suffira pas pour annihiler le mouvement» qui, même s'il est «aux abois», «n'est pas cliniquement mort» et dispose d'une «résilience forte», remarque Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l'Institut royal de relations internationales de Chatham House.

Plutôt que de «gagner une bataille», Mohammadu Buhari va devoir s'employer à «gagner la paix», affirme-t-il.

«Le terreau sur lequel a fleuri Boko Haram est toujours présent: la région du nord est en déshérence», avec un accès très faible de la population à l'éducation ou à la santé, un chômage élevé et un sous-développement réel, relève Antoine Glaser.

«La vraie bataille doit se faire au plan social et économique», poursuit cet analyste spécialiste de l'Afrique. Car sans nouveau projet politique pour le nord nigérian, Boko Haram, même battu militairement, «pourra attendre 10 ans ou 20 ans», mais il «se réactivera», assure-t-il.

Le groupe islamiste nigérian, après une extension continue pendant six ans, semble actuellement sur le recul.

Ses attaques, attentats-suicides et enlèvements dans le nord-est du Nigeria, ont fait plus de 13 000 morts depuis 2009. Ses combattants ont en outre tué plus de 1000 civils sur les trois premiers mois de 2015, selon l'ONG Human Rights Watch.

Longtemps cantonnés au territoire nigérian, où leur avancée paraissait un moment inexorable, les islamistes ont également multiplié les exactions au Cameroun et Niger voisins, auparavant considérés comme leurs bases de replis.

Revers

Mais l'engagement de ces deux pays, et surtout du Tchad, dans une coalition militaire très active semble avoir stoppé net cette progression. Ces dernières semaines, Boko Haram a subi revers sur revers.

«Qu'ils soient affaiblis sur le plan militaire, c'est une certitude», observe Antoine Glaser.

L'armée nigériane, passée à l'offensive après des années de recul, assure être le principal artisan de la contre-offensive, devant les militaires de la coalition régionale, qui ne se battent selon elle qu'aux frontières.

Les soldats nigérians ont de fait infligé un camouflet à Boko Haram en s'emparant à la veille des élections de son quartier général de Gwoza, d'où le chef des islamistes Abubakar Shekau avait proclamé en août 2014 son «califat» sur le nord-est nigérian.

Les Nigérians ont ensuite voté en masse samedi et dimanche pour élire Muhammadu Buhari, un musulman du nord du pays, à l'issue d'un scrutin pacifique que Boko Haram, malgré ses menaces, n'a pas été en mesure de perturber.

Les premiers mots après son sacre de ce général retraité de 72 ans, qui a lui-même réchappé l'an passé à un attentat - attribué tantôt aux islamistes, parfois à ses rivaux politiques - ont pourtant pris un fort accent militaire.

«Méthode douce»

«Je peux vous assurer que Boko Haram va vite mesurer la force de notre volonté collective et de notre engagement à débarrasser la nation de la terreur et pour ramener la paix», a-t-il averti.

Et de s'interroger ensuite, plus posément, dans une interview à la BBC: si en six ans de combats les forces nigérianes n'ont pu anéantir les islamistes, «comment puis-je promettre un miracle en arrivant au pouvoir?»

Interrogé jeudi par l'AFP, son porte-parole de campagne, Shehu Garba a promis une «réponse militaire plus efficace» à venir, mais également une «méthode douce» via des programmes de développement.

Seule une plus grande présence de l'État détournera définitivement la population de Boko Haram, qui en marge de ses exactions, a mis en place «des réseaux de financement» et autres «associations de bienfaisance», souligne Antoine Glaser.

Le groupe armé nigérian a en outre prêté allégeance début mars à l'organisation djihadiste État islamique, qui a appelé les musulmans à «se rendre en Afrique de l'ouest afin de rejoindre nos frères combattants sur place».

Les islamistes ont «plus à craindre d'un Muhammadu Buhari, qui connaît le terrain et sera perçu comme légitime par les musulmans du nord», tranche M. Pérouse de Montclos, que de Goodluck Jonathan, son prédécesseur, critiqué pour son trop long attentisme face aux massacres, ce qui lui a sans doute coûté sa réélection.