La Tunisie a affirmé samedi que l'enquête sur l'attentat du Bardo avançait, trois jours après l'attaque revendiquée par le groupe État islamique (EI), qui a coûté la vie à 20 touristes étrangers et un Tunisien.

«Le dossier est chez le juge d'instruction. Il y a des développements, mais pour préserver le secret de l'enquête et son efficacité nous préférons ne donner aucun détail», a dit à l'AFP le porte-parole du parquet, Sofiène Sliti.

De son côté, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui, a évoqué «plus de dix arrestations [de personnes] impliquées de manière directe ou indirecte dans l'attaque, parmi elles des gens ayant apporté un soutien logistique». Il n'a donné aucune indication sur leur identité. M. Aroui n'a pas non plus souhaité dire si les neuf personnes dont les arrestations ont été annoncées jeudi figuraient parmi les interpellations dont il a fait état samedi.

Par la suite, le ministère a indiqué avoir lancé un avis de recherche contre un Tunisien, «Maher Ben Mouldi Kaïdi», pour son implication présumée dans l'attaque.

Le père, les deux frères et la soeur de l'un des assaillants, Jabeur Khachnaoui, ont, eux, été relâchés, selon une source policière et un proche du tireur du Bardo.

Dans une interview publiée samedi sur le site internet de l'hebdomadaire français Paris Match, le président tunisien Béji Caïd Essebsi a admis qu'il y avait eu des «défaillances» dans le dispositif de sécurité. «En amont, la police et le renseignement n'ont pas été assez systématiques pour assurer la sécurité du musée», a-t-il dit.

Il a cependant souligné que les services de sécurité «ont réagi de manière très efficace pour terminer rapidement l'attaque au Bardo, évitant certainement des dizaines de morts supplémentaires si les terroristes avaient pu déclencher leurs ceintures d'explosifs.»

À Tunis, un frère du second assaillant Yassine Laabidi --Abidi selon les autorités-- a témoigné auprès de l'AFP du «choc énorme» de la famille.

«Yassine était un jeune aimable, chaleureux, beau gosse, intellectuel, qui n'avait rien en commun avec» les djihadistes, a-t-il déclaré.

«Il est victime d'un lavage de cerveau, des idées venimeuses, ces pourritures qui envoient au nom de la religion des jeunes vers la mort», s'est-il exclamé.

L'attentat du Bardo est le premier à atteindre des étrangers en Tunisie depuis 2002. C'est aussi le premier revendiqué par l'EI, qui sévit en Libye voisine, en Syrie et en Irak et compte des centaines de Tunisiens dans ses rangs.

«Comme dans un moulin»

Vendredi, le président Béji Caïd Essebsi a martelé son engagement à vaincre la mouvance djihadiste armée qui connaît un essor en Tunisie depuis la révolution de 2011, mais qui, jusqu'à l'attaque du Bardo, était largement cantonnée dans les montagnes frontalières de l'Algérie.

Ce drame a révélé des ratés sécuritaires, deux jeunes lourdement armés ayant pu approcher le musée le plus prestigieux du pays, mitoyen du Parlement, et ouvrir le feu sur des touristes qui descendaient de leurs bus.

Le ministère de l'Intérieur a diffusé samedi soir, sur sa page officielle Facebook, une vidéo tirée en partie de caméras de surveillance, montrant les deux tueurs déambulant dans le musée du Bardo, kalachnikov à la main au moment de l'attentat.

Un touriste français, arrivé samedi à Marseille et qui a visité le musée juste avant l'attaque, a souligné aussi l'absence de mesures de sécurité.

«On entrait comme dans un moulin, il y avait juste un type avec une mitraillette à l'entrée du stationnement», a expliqué Thierry.

Le chef du gouvernement, Habib Essid, a reconnu «des failles dans tout le système sécuritaire».

«Dans le dos»

Des djihadistes ralliés à l'EI avaient menacé la Tunisie d'attaques ces dernières semaines. Et, selon les autorités tunisiennes, près de 500 Tunisiens ayant combattu en Syrie, en Irak ou en Libye sont de retour chez eux.

Les deux auteurs de l'attentat, formés au maniement des armes en Libye selon Tunis, étaient connus des services de police.

La Tunisie a officiellement identifié les 20 étrangers tués, ainsi qu'un policier tunisien. Une messe en leur mémoire a été dite à la cathédrale de Tunis samedi en présence de ministres.

Le chef du service de chirurgie de l'hôpital Charles-Nicolle, Chadli Dziri, a indiqué à l'AFP que le pronostic vital restait engagé pour une des 43 blessés, une touriste française touchée à l'abdomen et au fémur.

Le médecin a souligné que l'état de certains blessés témoignait de l'acharnement des tireurs: «c'était des balles tirées sur des personnes en fuite, des balles dans le dos, au niveau des membres».

Tandis que plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Paris en signe de solidarité, le comité d'organisation du Forum social mondial (FSM) a annoncé son maintien à Tunis aux dates prévues (24-28 mars). Il a ajouté qu'il s'ouvrirait avec une marche en direction du musée, dont la réouverture est prévue ce même jour.

«Il n'y avait aucune sécurité», selon un touriste

«Il n'y avait aucune sécurité» au musée du Bardo, a assuré samedi à Marseille un passager français du MSC Splendida, l'un des deux navires sur lesquels voyageaient 17 des 21 personnes tuées dans l'attentat perpétré à Tunis.

«On est sortis du musée 25 minutes avant l'attaque», a raconté à des journalistes Thierry, lors de l'escale marseillaise du MSC Splendida, qui était parti de la cité phocéenne une semaine auparavant. «On a eu beaucoup de chance», a-t-il poursuivi: «Il n'y avait aucune sécurité, on entrait comme dans un moulin, il y avait juste un type avec une mitraillette à l'entrée du parking».

Comme Thierry, plusieurs passagers des deux navires - comme le Splendida, le Costa Fascinosa a accosté samedi matin dans le port de Marseille - ont décrit l'ambiance pesante à bord des navires après les attaques.

«Le navire a été totalement silencieux pendant deux jours, même si l'humeur de tout le monde s'est un peu améliorée depuis hier», a décrit Antonio, un jeune passager italien du MSC Splendida. «Je devais aller au musée, mais j'ai changé d'avis au dernier moment», a-t-il raconté: «Je pense que c'est grâce à Dieu».

«Il y avait beaucoup d'émotion sur le bateau», a aussi estimé Gaëtane, qui voyageait sur le Costa Fascinosa. «C'est la femme de chambre qui m'a annoncé que ma voisine de chambre avait été tuée», a-t-elle poursuivi. «Toutes les activités ont été supprimées, il y a eu des minutes de silence», a-t-elle encore décrit.

Au total, 17 des 21 personnes tuées dans l'attaque du musée du Bardo à Tunis voyageaient sur ces deux navires: cinq sur le Costa Fascinosa (quatre Italiens et un Russe) et 12 sur le MSC Splendida (deux Colombiens, trois Français, trois Japonais, deux Espagnols, un Anglais et un Belge).

«Nous sommes encore très très attristés, surtout pour les familles des victimes de ces tragédies», a réagi le PDG de MSC Croisières, Gianni Onorato, présent sur le port de Marseille samedi matin.

MSC et Costa, deux groupes italiens, ont annoncé la suspension de leurs escales à Tunis après l'attaque. «Nous devons écouter les commentaires de nos passagers et nous avons reçu beaucoup d'appels de gens qui avaient des réservations qui nous ont clairement demandé d'annuler cette escale», a assuré M. Onorato.