Le report des élections au Nigeria suscitait dimanche de vives critiques, observateurs et opposants jugeant que la popularité chancelante du président candidat Goodluck Jonathan en était la vraie raison, et non l'argument officiel de la mobilisation militaire contre Boko Haram.

Samedi soir, à sept jours du vote initialement fixé au 14 février, la commission électorale nigériane (INEC) a annoncé que les élections présidentielle, législatives et sénatoriales étaient reportées au 28 mars. Les élections des gouverneurs et assemblées des États ont été également décalées de six semaines, au 11 avril.

Au total 14 candidats sont en lice pour la présidentielle qui, selon plusieurs analystes, devrait se jouer entre deux favoris: le chef de l'État Goodluck Jonathan, 57 ans, du Parti démocratique populaire (PDP), et l'ex-général Muhammadu Buhari, 72 ans, du Congrès progressiste (ACP), principale formation de l'opposition.

L'INEC a expliqué avoir repoussé les scrutins en réponse à des demandes officielles - y compris du chef du Conseil national de la sécurité (NSA), Sambo Dasuki - invoquant l'indisponibilité de forces de défense pour sécuriser le vote, en raison de leur engagement contre le groupe islamiste armé Boko Haram, qui sévit depuis six ans dans le nord-est du pays.

Le PDP, menacé pour la première fois d'alternance en 16 ans de pouvoir ininterrompu, s'est félicité du report du vote, le jugeant «dans l'intérêt de la démocratie».

L'APC a vivement critiqué dimanche cette décision, conçue selon M. Buhari «par l'administration PDP» comme «une tentative grossière et brutale de saboter le processus électoral».

L'INEC «a été entraînée dans une situation où elle a dû céder à la pression. Par conséquent, [son] indépendance a été gravement compromise», a déclaré M. Buhari lors d'une conférence de presse à Abuja, tout en appelant au calme ses partisans et plus généralement la population.

À Kano, la plus grande ville du nord, les critiques étaient aussi vives dimanche, selon des journalistes de l'AFP sur place.

«Nous désapprouvons totalement ce report d'élections», qui n'est pas fondé sur la sécurité «mais sur autre chose. Il y a anguille sous roche», estimait ainsi Aminu, un commerçant.

La justification officielle du report ne convainc pas non plus analystes et observateurs, soulignant que Boko Haram ne pouvait être défait en six semaines et que la sécurité des scrutins de mars ne serait pas plus garantie.

D'après eux, les motivations du pouvoir sont plutôt d'ordre politique, un nouveau délai pouvant bénéficier au PDP, qui dispose de plus de moyens pour mener une campagne électorale plus longue et permettre ainsi à M. Jonathan de regagner du terrain face à M. Buhari.

La sécurité, «question cruciale» 

Pour d'autres analystes, les difficultés dans la distribution des cartes d'électeurs (PVC) auraient pu constituer un motif valable de report. L'exercice représente en soi un véritable casse-tête logistique dans cette fédération composée de 36 États et un territoire fédéral (Abuja) avec près de 69 millions de Nigérians inscrits sur les listes sur une population globale de 173 millions d'habitants.

Mais samedi soir, le président de l'INEC, Attahiru Jega, a assuré que la commission électorale aurait été prête à organiser les scrutins à la date initiale, ayant déjà distribué près de 46 millions de cartes d'électeurs. Il a insisté avoir tenu compte des demandes liées à la sécurité, une «question cruciale qui ne dépend pas de l'INEC».

Quelque 20 associations de la société civile ont dénoncé dimanche ce report destiné à «tronquer le processus démocratique au Nigeria».

La décision de la commission électorale a également suscité des réactions de désapprobation hors du Nigeria: les États-Unis se sont dits «profondément déçus», le gouvernement britannique a évoqué une «source d'inquiétude».

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a exhorté à tout mettre en oeuvre pour permettre des scrutins libres et équitables, «en toute sécurité et sans crainte» pour les électeurs.

Au plan régional, le Tchad, le Niger, le Nigeria, le Cameroun et le Bénin se sont mis d'accord samedi pour mobiliser 8700 hommes dans une force multinationale de lutte contre Boko Haram, alors que le Tchad a déjà lancé ses troupes dans la bataille dans le nord-est du Nigeria.

En dépit de cette pression militaire accrue, Boko Haram continue d'opérer au Nigeria et dans des pays voisins, comme dimanche matin, où ses combattants ont attaqué à la bombe Diffa (sud-est du Niger), ville frontalière, y faisant au moins un mort et dix blessés, selon des témoins et travailleurs humanitaires.