Intimidation, meurtres de manifestants, arrestations arbitraires: en Égypte, les forces policières ne font pas dans la dentelle depuis la prise du pouvoir du général Abdel Fattah al-Sissi. Mais voilà qu'elles recevront un entraînement... des policiers canadiens.

Ottawa a en effet signé une entente avec l'Égypte afin de former ses policiers. Fait intrigant, les Émirats arabes unis paieront une partie de la facture. L'initiative est dénoncée par des experts et des organisations de défense des droits de la personne.

«Il est choquant que le Canada propose d'entraîner la police égyptienne, notoirement brutale et corrompue, au moment où le régime égyptien a emprisonné et torture régulièrement des milliers de prisonniers politiques», tranche Rex Brynen, professeur de sciences politiques à l'Université McGill.

Dans un communiqué diffusé en janvier, le ministère des Affaires étrangères du Canada a dit vouloir «appuyer la professionnalisation et le perfectionnement des compétences des forces policières égyptiennes».

«On peut se faire croire que cela va conduire, d'une façon ou l'autre, à réformer les forces de sécurité égyptienne. Mais ça n'arrivera pas. Au contraire, cela va aider à maintenir au pouvoir une dictature militaire non démocratique», dit Rex Brynen.

«Considérant les violations des libertés civiles et des droits de la personne par le gouvernement égyptien actuel, nous nous opposons à cet accord», affirme aussi Thomas Woodley, président de l'organisme Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient.

Prévenir des conflits

L'entente entre le Canada et l'Égypte stipule que des policiers canadiens se rendront en Égypte pour «mettre en oeuvre des programmes de formation et de mentorat». Des policiers égyptiens suivront aussi des cours au Collège canadien de police à Ottawa.

«Ces efforts sont essentiels à la prévention des conflits et à la réforme à long terme des mesures de sécurité», a dit hier le ministère des Affaires étrangères dans un échange de courriels avec La Presse.

Le Ministère a assuré que la protection des droits de la personne faisait partie de ses priorités en Égypte, et a souligné avoir fait part de ses inquiétudes à ce sujet en 2014 au Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

Le Canada a signé l'entente de formation des policiers au Caire en janvier avec le gouvernement du général Abdel Fattah al-Sissi. Appuyé par une partie de la population égyptienne, celui-ci avait pris le pouvoir par la force à l'été 2013 en renversant le gouvernement démocratiquement élu du président Mohamed Morsi. Depuis, le régime de Sissi mène une campagne de répression contre les partisans de Morsi, liés au mouvement des Frères musulmans, en multipliant les emprisonnements et les condamnations à mort. Les militants sont aussi dans la ligne de mire des forces gouvernementales et policières.

L'organisation Human Rights Watch considère que l'Égypte vit actuellement la «pire crise des droits de l'homme» depuis les années 50.

Changement d'image

À Washington, l'analyste David Pollock, ancien conseiller du gouvernement américain pour le Moyen-Orient aujourd'hui associé au Washington Institute, suit avec intérêt les démarches du Canada dans ce dossier.

«Ça me semble correspondre au rôle plus actif que semble vouloir jouer le Canada au Moyen-Orient, comme on le voit notamment en Irak», dit-il. Selon lui, le gouvernement égyptien tente de changer son image, tant chez lui qu'à l'étranger, et le Canada pourra réellement l'aider à discipliner ses forces policières.

Il s'interroge toutefois sur le rôle que viennent jouer les Émirats arabes unis dans cette affaire. Le gouvernement canadien a affirmé que le pays soutiendra financièrement la formation des policiers égyptiens par le Canada.

M. Pollock souligne que les Émirats arabes unis ne voient pas d'un bon oeil la confrérie des Frères musulmans, que persécute le gouvernement égyptien actuel. Cela pourrait expliquer leur implication dans le dossier. Mais l'expert juge «inhabituel» le fait que le Canada ait signé une entente tripartite avec les deux pays.