L'attentat contre Charlie Hebdo à Paris a relégué dans l'ombre la semaine dernière une nouvelle attaque sanguinaire de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria.

Alors que les médias occidentaux assuraient une couverture en profondeur des événements tragiques survenus en France, la nouvelle de la mort d'environ 2000 civils dans le village de Baga était pratiquement passée sous silence.

Une analyse effectuée par Ethan Zuckermann, qui enseigne au Massachusetts Institute of Technology (MIT), révèle que les 25 principaux médias américains ont évoqué dans une vingtaine de phrases seulement le nom du village au lendemain du début de l'assaut des fondamentalistes nigérians.

Ces mêmes médias ont diffusé 1100 phrases comportant le mot-clé «Charlie Hebdo» au lendemain de l'attaque dans la capitale française.

Cette disparité de traitement a irrité nombre d'internautes, qui ont multiplié les messages sur Twitter en utilisant des mots-clés comme #JesuisBaga et #JesuisNigeria en écho au #Jesuischarlie.

Une caricature montrant les morts de Baga qui regardent la ville de Paris du ciel en se demandant s'ils auront eux aussi droit à un peu d'attention a aussi circulé.

Les analystes consultés par La Presse relèvent que l'écart de couverture est imputable à plusieurs facteurs.

Frank Chalk, historien rattaché à l'Université Concordia qui suit de près l'évolution de la situation au Nigeria, explique que la difficulté pour les médias d'obtenir des nouvelles de la zone touchée par l'attentat a certainement contribué à la situation.

Boko Haram est omniprésent et constitue une menace sécuritaire «évidente» pour d'éventuels journalistes occidentaux, qui ne peuvent s'y rendre qu'avec un imposant dispositif de protection au coût prohibitif. Les journalistes locaux courent aussi des risques importants, dit-il.

Racisme?

Dominique Payette, qui enseigne le journalisme à l'Université Laval, note que les médias, de manière générale, n'accordent pas la même importance aux victimes d'actes violents qui vivent au loin.

L'Afrique, généralement sous-couverte, fait particulièrement les frais de cette règle non écrite, déplore la spécialiste.

Ethan Zuckermann juge qu'une certaine forme de «racisme» est en jeu dans cette disparité de traitement bien qu'il ne s'agisse pas, selon lui, du facteur déterminant à considérer.

Le manque de proximité culturelle avec les victimes de l'attentat de Boko Haram, par opposition aux artisans de Charlie Hebdo, joue selon lui dans l'attitude des médias occidentaux.

La difficulté d'identifier les personnes concernées par le drame est un autre facteur important, juge-t-il. Les journalistes tendent à chercher des «héros» et des «vilains» pour relayer la nouvelle, note l'analyste, alors que l'on ne sait presque rien des victimes des attaques de Boko Haram ou des agresseurs eux-mêmes.

La récente campagne internationale pour la libération de centaines d'écolières enlevées à Chibok par le groupe extrémiste s'explique notamment par le fait qu'il était possible alors d'associer des visages au drame, relève M. Zuckermann.

La couverture des attaques de Boko Haram par les médias occidentaux est d'autant plus cruciale, dit-il, qu'elle peut permettre de contredire l'hypothèse d'un «choc de civilisations» véhiculé par certains analystes en lien avec les attentats de Paris.

Les victimes du groupe nigérian sont essentiellement des musulmans, ce qui met en relief que le véritable problème n'est pas l'islam mais bien l'extrémisme, conclut M. Zuckermann.