Le Nigeria, première économie et pays le plus peuplé d'Afrique, entre en campagne présidentielle dans un contexte d'escalade des attaques de Boko Haram, qui contrôle de vastes territoires du nord-est où des milliers d'électeurs ne pourront pas voter le 14 février.

Le duel entre le président sortant Goodluck Jonathan, 57 ans, et l'ancien dictateur militaire Muhammadu Buhari, 72 ans, candidat pour la quatrième fois, s'annonce comme le plus serré depuis le retour à la démocratie au Nigeria il y a 16 ans. Pour certains observateurs, un second tour pourrait être nécessaire.

L'insécurité est le thème central de la campagne: le groupe islamiste armé Boko Haram s'est emparé de plus d'une vingtaine de villes et de villages et poursuit ses attaques sanglantes dans le nord-est, dont le massacre de Baga le 3 janvier- sans doute sa tuerie la plus meurtrière avec des centaines, voire des milliers de morts.

La commission électorale indépendante (INEC) a d'ailleurs prévenu mardi que la tenue des scrutins présidentiel et législatif était «peu probable» dans les zones contrôlées par les islamistes.

Le Congrès progressiste (APC, opposition) de M. Buhari a déjà prévenu qu'il contesterait les résultats si les électeurs de cette région étaient privés de leur droit de vote. D'autant qu'il s'agit de bastions de l'opposition, précieux dans un vote serré.

«Selon la Constitution nigériane, le candidat vainqueur doit avoir remporté la majorité des voix ainsi que 25% des scrutins dans les deux tiers du pays ou des États» rappelle l'avocat Jiti Ogunye.

Le Département d'État américain s'est dit inquiet, mardi, devant «l'importante escalade» de la violence dans le pays, mais a considéré que le vote devait quand même avoir lieu.

L'ex-secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, qui a participé mercredi à une conférence sur les élections à Abuja, a demandé à MM. Jonathan et Buhari et aux 12 autres candidats à la présidentielle d'apaiser les esprits pour éviter des violences électorales.

L'opposition a une chance

M. Jonathan, qui dirige le Nigeria depuis la mort de son prédécesseur Umaru Yar'Adua en 2010, est très critiqué pour n'avoir pas su juguler l'insurrection islamiste, qui a fait plus de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés depuis 2009.

Le président ne peut pas non plus compter sur son bilan économique.

Le Nigeria est devenu l'année dernière la première économie africaine, grâce à un changement du mode de calcul du PIB, mais plus de la moitié des 178 millions d'habitants vivent toujours dans la pauvreté, sans accès aux infrastructures de base.

Quant aux revenus du pétrole, principale ressource du pays, ils sont siphonnés par l'élite dirigeante corrompue.

De plus, les recettes de l'État ont fondu avec la chute historique des cours du pétrole, contraignant le gouvernement à prendre des mesures d'austérité et dévaluer la monnaie, ce qui plombe encore M. Jonathan.

Face à lui, l'ex-général Buhari, qui a marqué les esprits pour sa «guerre contre l'indiscipline» durant son bref règne (1983-1985) à la tête d'une junte militaire, est vu comme un «chevalier blanc» anticorruption.

Mais hormis sa poigne de fer, il n'a présenté aucun programme économique jusqu'à présent, rappelle l'économiste Bismark Rewane.

Au lieu de s'affronter sur leurs idées, M. Jonathan, le chrétien du sud, et M. Buhari, le musulman du nord, se livrent à une campagne politicienne.

Le Parti démocratique du Peuple (PDP, au pouvoir) dépeint M. Buhari comme un «dangereux» homme du passé «incapable de tolérer des dissidents».

Certains l'ont traité d'islamiste, ce qu'il réfute, et accusé de n'avoir pas fini ses études secondaires - un motif d'inégibilité.

L'opposition, de son côté, prétend être la cible d'une violente chasse aux sorcières, notamment depuis le saccage de ses bureaux de Lagos par les services secrets il y a quelques semaines.

Aucun sondage indépendant ne permet d'évaluer la popularité des deux hommes mais pour de nombreux observateurs, l'APC, qui rassemble quatre partis d'opposition, a une chance de faire tomber le PDP, au pouvoir depuis 1999.

L'APC tient notamment trois villes-clés à l'échelle du pays: Lagos, la capitale économique, la ville pétrolière de Port Harcourt, dans le sud, et Kano, la plus grande ville du nord.

M. Jonathan reste favori «à cause du pouvoir du président sortant», plus en mesure de mobiliser les fonds nécessaires pour assurer sa réélection, estime le professeur de sciences politiques Jideofor Adibe.

Mais s'il veut être réélu, il doit «trouver un moyen de stopper la dynamique pour l'instant en faveur de l'APC et il doit agir vite», ajoute-t-il.