Ex-dictateur acquitté, opposants au régime militaire condamnés à mort par centaines: que reste-t-il de la Révolution égyptienne de 2011 ? Bien peu de choses, disent les experts.

Samedi dernier, pour un détail technique, un juge égyptien a laissé tomber les accusations contre l'ex-président Hosni Moubarak pour le rôle qu'il a joué dans la mort de centaines de manifestants en 2011.

Quelques minutes plus tard, 1000 personnes ont tenté de décrier la décision judiciaire sur la place Tahrir, épicentre du soulèvement qui a mené au départ de l'ex-dictateur et lieu des crimes qui lui sont reprochés. La police a vite dispersé le petit groupe, tuant deux manifestants.

Le premier ministre du pays, Ibrahim Mahlab, a dénoncé la prise de parole des citoyens et la tentative d'occuper la célèbre place, en qualifiant ces gestes «d'inacceptables», voire de tentatives «de destruction de l'État».

Mardi, dans un procès qui a duré quelques minutes, un autre juge a condamné 188 personnes à la peine capitale pour avoir pris part à une émeute le 14 août 2013, au cours de laquelle 11 policiers ont été tués. Ce même jour, les forces de l'ordre égyptiennes ont ouvert le feu sur des manifestants qui demandaient le retour de Mohamed Morsi, le président islamiste élu après la révolution de 2011. Ce dernier venait d'être renversé par l'armée avec le soutien d'une partie de la population. Plus de 700 protestataires non armés sont morts sur la place Rabaa al-Adawiya du Caire.



Le retour en arrière

Selon les experts, les événements des derniers jours confirment ce que plusieurs craignaient depuis la prise du pouvoir par l'ancien militaire Abdel Fatah Al-Sissi. «Ça semble clair, la révolution de 2011 n'est plus», dit Noah Feldman, professeur de droit et expert du Moyen-Orient à l'Université Harvard. Enterrés, les jours où des centaines de milliers de personnes demandaient plus de liberté sur la place Tahrir, ordonnant au président de déguerpir.

«Aujourd'hui, il n'y a aucune transition vers la démocratie en Égypte, ajoute Rex Brynen, professeur de sciences politiques à l'Université McGill. Depuis le coup d'État de l'an dernier, le régime militaire s'est consolidé. Plus de 10 000 opposants politiques sont en prison, on pratique la torture. On condamne à mort des centaines de personnes. Moubarak est acquitté. On est de retour au point de départ».

Selon lui, le régime actuel est encore plus répressif que celui de Moubarak. En guerre contre les Frères musulmans - l'organisation islamiste dont était issu le président Morsi -, l'administration Sissi se sent menacée, dit M. Brynen. «Le régime punit de manière draconienne ses opposants et les journalistes», dit-il.

Le procès de masse de cette semaine n'était pas le premier du genre. À Minya, 1200 personnes ont déjà été condamnées à mort dans deux incidents distincts. Chaque fois, le groupe en entier a été tenu responsable de la mort d'un policier.

Expert du droit constitutionnel, Noah Feldman note que le système judiciaire égyptien joue un grand rôle dans la consolidation du régime militaire. «Les tribunaux en Égypte n'ont toujours eu qu'une indépendance partielle. Ils se coordonnent avec le régime par des signaux de fumée et savent exactement de quoi le régime a besoin. Le régime va porter en appel la décision sur Moubarak, car il veut pouvoir dire que c'est la faute des tribunaux s'il est acquitté», affirme celui qui porte une attention particulière aux Constitutions des pays du Moyen-Orient.

Noah Feldman est outré par la complaisance de la communauté internationale, et plus précisément par l'inaction des États-Unis, son pays, à l'égard des violations des droits de l'homme en Égypte. «Les États-Unis devraient demander au régime égyptien de respecter ses engagements en matière de droit. Au lieu de ça, on nourrit la perception que l'Ouest est hypocrite. On brandit la question des droits seulement contre nos ennemis. Ce qui s'est passé en Égypte, c'est une grande tragédie.»

MOUBARAK BIENTÔT LIBRE ?

Même si une cour a fait tomber les accusations de meurtre qui pesaient contre Hosni Moubarak samedi dernier, l'ex-président égyptien est toujours détenu dans un hôpital militaire. L'ex-dictateur, âgé de 86 ans, purge actuellement une peine d'emprisonnement de trois ans après avoir été reconnu coupable de corruption en 2012. Il a déjà purgé les deux tiers de sa peine et pourrait être bientôt mis en liberté. Entre-temps, le bureau du procureur veut porter en appel la décision de samedi. La Cour de cassation pourra alors décider de rétablir ou non les accusations.