L'ancien résident canadien Léon Mugesera, qui est présentement jugé au Rwanda pour incitation au génocide, souhaite que son procès soit repris à zéro. Son avocat déposera une requête en ce sens aujourd'hui à la Haute Cour de Kigali, au Rwanda, arguant que le remplacement d'un des juges après deux ans d'audiences compromet son droit à un procès équitable.

«C'est manifestement la totalité de la cause qui doit être entendue pour qu'un juge puisse, à partir de cet ensemble, former sa décision et son jugement en toute indépendance et impartialité», écrit Me Jean-Félix Rudakemwa dans sa requête de sept pages, que La Presse a obtenue.

Léon Mugesera fait l'objet de cette accusation à la suite d'un discours prononcé en novembre 1992 dans le nord du Rwanda, un an et demi avant le massacre qui a fait quelque 800 000 morts chez les Tutsis et les Hutus modérés.

Son procès se déroule dans la capitale rwandaise depuis septembre 2012, devant trois juges. Or, après deux ans de procédures, le juge Athanase Bakuzakundi, qui présidait les audiences, a été muté en province en septembre dernier et remplacé par la juge Béatrice Mukamurenzi.

Me Rudakemwa, que La Presse a joint par téléphone hier, estime qu'il faut donc reprendre à zéro. «C'est même ce que prévoit la loi», affirme-t-il, estimant les chances que sa requête soit accueillie favorablement à «60 %». «Moi, ce que veux, c'est un procès équitable», a-t-il dit.

«Un changement de juge à ce stade-ci du procès, ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'accusé», estime Fannie Lafontaine, qui est titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux de l'Université Laval. «Ça pose des problèmes fondamentaux sur l'équité du procès et sur le droit à être jugé dans des délais raisonnables.»

Ce genre de situation n'est pas rare, rappelle-t-elle. Il arrive que des juges meurent en cours de procès ou doivent se récuser pour différentes raisons. «Il y a des précédents. Soit on reprend le procès, soit alors on laisse un délai au juge pour se familiariser avec le dossier. [...] Mais est-ce la même chose que d'entendre les témoins?», se demande-t-elle.

Deux repas par jour

Léon Mugesera se plaint depuis le début de son procès du déroulement des procédures et de ses conditions de détention. Alors que la poursuite achève de faire entendre ses témoins, la défense n'a toujours pas été autorisée à amener les siens à la barre.

Son avocat dit aussi manquer de ressources financières, l'aide juridique se faisant toujours attendre. «Je n'ai même pas reçu un sou de la part de l'État», déplore-t-il, précisant que ses seuls revenus proviennent de ce que lui verse la famille de son client.

Me Rudakemwa affirme que Léon Mugesera est privé de déjeuner depuis un mois, sans qu'il sache pourquoi. «Il se présente au tribunal sans avoir mangé, ajoute-t-il. Je considère cela comme un traitement inhumain et dégradant.»

Le procès en trois temps

Janvier 2012

Mugesera est remis au Rwanda par le Canada après une bataille judiciaire de 15 ans pour éviter son renvoi.

Septembre 2012

Début de son procès pour incitation au génocide à Kigali.

Septembre 2014

Le juge Athanase Bakuzakundi, qui présidait son procès avec deux autres magistrats, est remplacé par la juge Béatrice Mukamurenzi.