Les élections générales de février 2015 au Nigeria s'annoncent «explosives et brutales», estime l'International Crisis Group (ICG), qui met en garde contre les risques d'instabilité engendrés par un climat politique «de plus en plus violent».

Cet avertissement intervient au lendemain d'un incident au Parlement nigérian: les forces de l'ordre ont tiré jeudi des gaz lacrymogènes dans le hall à l'arrivée du président de la Chambre des représentants, juste avant un vote sur une prolongation de l'état d'urgence contre le groupe islamiste Boko Haram dans le Nord-Est.

«Si l'on veut éviter des effusions de sang avant, pendant et après les élections, il est urgent d'améliorer l'organisation et la sécurité des élections, et encore plus important de faire évoluer les esprits», explique l'ICG dans un rapport de 42 pages publié vendredi.

Les violences politiques sont récurrentes au Nigeria. Près d'un millier de personnes avaient péri lors de violences après les élections de 2011, pourtant considérées comme les plus régulières depuis la fin des dictatures militaires en 1999.

Selon le groupe de réflexion, le risque de troubles avant les élections de février est particulièrement élevé.

Le rapport souligne la volonté des responsables politiques du nord du pays, essentiellement musulman, de reprendre coûte que coûte la présidence au Sud chrétien, dont est issu l'actuel président, Goodluck Jonathan.

M. Jonathan, âgé de 56 ans, dirige le pays le plus peuplé d'Afrique depuis mai 2010. Il a annoncé récemment sa candidature à sa propre succession au nom du PDP, le Parti démocratique populaire.

Face à lui, deux musulmans ont présenté leur candidature aux primaires du Congrès progressiste (APC), une coalition d'opposition rassemblant les principaux partis d'opposition dont l'émergence est elle-même source de possibles tensions, souligne l'ICG.

«Il s'agit de la première confrontation nationale à se jouer essentiellement entre deux camps (...) depuis le retour à un pouvoir civil en 1999», observe le rapport, en relevant les discours souvent violents et les relations hostiles du PDP et de l'APC.

L'insurrection des islamistes de Boko Haram dans le Nord-Est, qui a coûté la vie à plus de 13 000 personnes depuis 2009, ne donne aucun signe d'apaisement, et la Commission électorale a admis qu'il sera presque impossible d'organiser le scrutin dans les trois États les plus touchés (Borno, Yobe et Adamawa).

Or «un scrutin qui ne se tiendrait pas sur la totalité du territoire (...) risque de ne pas remplir les conditions constitutionnelles requises pour l'élection d'un président», fait valoir le rapport.

Quant aux affirmations du président de la Commission électorale Attahiru Jega, qui assure que les élections de 2015 se dérouleront mieux que celles de 2011, l'ICG juge qu'elles ne sont «pas totalement appuyées par les réalités du terrain».

Dans cette atmosphère politique explosive, un résultat contesté pourrait mettre le feu aux poudres, ajoute-t-il.

D'autant que l'opposition a le sentiment grandissant que les forces de sécurité «intimident les leaders de l'opposition et leurs partisans, tout en lâchant la bride aux membres du PDP et aux partisans de Jonathan», écrit l'ICG.

La quantité d'armes importées au Nigeria est une autre source d'inquiétude: elle a atteint des sommets récemment, et l'ICG craint que cette tendance soit liée aux scrutins à venir. Les milices civiles armées sont fréquemment utilisées par les hommes politiques en période électorale.

Le groupe de réflexion prévient que le Delta du Niger pourrait également connaître des troubles. De nombreux gangs très organisés y sont en sommeil depuis 2009. Ils avaient alors accepté un accord d'amnistie avec le gouvernement fédéral visant à mettre fin à la rébellion qui touchait cette région pétrolifère du Sud.

«Pays le plus peuplé et première économie du continent, le Nigeria représenterait une réelle menace sécuritaire s'il devait être déstabilisé par des violences électorales», avertit E. J. Hogendoorn, directeur adjoint du programme Afrique d'ICG.

«Il faut des efforts concertés de tous les acteurs nationaux et des partenaires étrangers afin d'éviter le pire», a-t-il conclu.