Depuis une décennie, la Libérienne Martina Johnson s'était refait une vie paisible en Belgique, sur le bord des canaux de la ville de Gand. Mais la guerre à laquelle elle a pris part en tant que combattante et commandante des milices de Charles Taylor vient de la rattraper.

Arrêtée dans sa ville d'adoption le mois dernier, la femme de 44 ans sera la première à faire face à la justice pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis pendant la guerre civile de 1989 à 1996.

L'ancien patron de Martina Johnson, l'ex-chef de guerre et président Charles Taylor, a été condamné à 50 ans de prison, mais pour des atrocités commises pendant la guerre civile du pays voisin, la Sierra Leone. «C'est incroyablement important que ce procès ait lieu, dit Elise Keppler de Human Rights Watch. Même si la Commission vérité et réconciliation du Liberia a recommandé la création d'un tribunal pour juger les crimes de guerre, il ne s'est absolument rien passé», note l'experte des droits de la personne. Martina Johnson figurait notamment sur une liste de 100 personnes soupçonnées de crimes de guerre établie par la Commission libérienne.

Un important contingent de femmes combattantes a pris part à ce conflit qui a fait plus de 200 000 morts, mais peu ont atteint un niveau de commandement comme Mme Johnson. Pendant le règne de Charles Taylor, elle a notamment été responsable de la sécurité de l'aéroport de Monrovia.

Trois ans d'enquête

Un long processus de trois ans a mené à l'arrestation de Mme Johnson. Avec l'aide du Centre de justice globale du Liberia et de l'organisation Civitas Maxima, établie à Genève, trois victimes libériennes ont pu déposer une plainte contre Martina Johnson en Belgique. Faute de justice au Liberia, la Belgique peut faire respecter le droit international pénal dans son propre système judiciaire.

Mme Johnson avait 22 ans au moment des actes qui lui sont reprochés. Elle était alors chef de l'artillerie du Front national patriotique du Liberia (NPLF), groupe armé dirigé par Charles Taylor.

En octobre 1992, le NPLF a lancé l'opération Octopus, vaste attaque armée contre Monrovia - la capitale du pays - et ses environs dans le but d'en prendre le contrôle. Selon les allégations, Martina Johnson a pris part directement aux opérations, qui ont fait plus de 3000 morts et poussé 200 000 personnes à prendre la fuite. «L'opération Octopus a été très sanglante. Il y a eu beaucoup d'atrocités commises selon des lignes ethniques. Des dizaines de personnes ont été liquidées. Il y a aussi eu des amputations d'oreilles, de bras», affirme au téléphone le directeur de Civitas Maxima, Alain Werner, joint en Suisse.



Tueries et castration manquée

Selon les plaignants, Martina Johnson aurait participé à des exactions dans le secteur du Marché au riz sec. Mme Johnson aurait tiré sur un premier témoin avant de lui ordonner de ramasser les cadavres des autres victimes. Un deuxième témoin relate que Martina Johnson a tué sa soeur avant de lui ordonner de se déshabiller. Elle se serait apprêtée à le castrer lorsque des combats l'ont obligée à partir en trombe.

Une fois la plainte déposée devant la justice belge, un juge d'instruction a été saisi de l'affaire. Ce dernier a enquêté pendant deux ans dans le secret avant de demander l'arrestation de Martina Johnson en septembre. «Les victimes sont contentes qu'on en arrive là, note l'avocat belge des plaignants, Luc Walleyn. Trois ans après que la plainte eut été déposée, certains commençaient à désespérer», note-t-il.

On ignore pour le moment quand le procès aura lieu, mais pour Alain Werner, le processus judiciaire est déjà à lui seul une victoire. «Il y a de la jubilation au Liberia parce qu'elle a été arrêtée», note le directeur de l'organisation indépendante qui prête attention aux pays dans lesquels règne l'impunité. Dans le passé, Civitas Maxima s'est intéressé aux leaders des Khmers rouges, qui ont depuis subi des procès, ainsi qu'à Charles Taylor.

L'espoir le plus profond de M. Werner est d'obliger le pays d'Afrique subsaharienne à faire face à son passé tourmenté. «La justice est corrompue dans le pays. Aujourd'hui, des anciens chefs de guerre occupent des positions de pouvoir. La présidente [Ellen Sirleaf-Johnson, Prix Nobel de la paix] n'a rien fait pendant ses deux mandats pour la justice. Si ce procès en Belgique ne change rien à ce qui se passe au Liberia, on aura tout fait ça pour rien», conclut-il.