Le groupe armé Boko Haram s'est emparé jeudi d'une nouvelle ville dans le nord-est du Nigeria, Buni Yadi, et l'insurrection islamiste semble gagner du terrain semaine après semaine.

Alors qu'ils privilégiaient la tactique de guérilla, avec des raids contre l'armée, les pouvoirs publics et les écoles, les insurgés changent apparemment de stratégie depuis quelques mois et cherchent à s'emparer de territoires entiers pour établir un État islamique, selon des analystes.

D'après des habitants qui ont fui la ville ces derniers jours, les combats autour de Buni Yadi, située dans l'État de Yobe, se déroulaient depuis fin juillet, et les assaillants islamistes ont finalement pris le bâtiment de la municipalité sur lequel flotte maintenant leur drapeau.

Le porte-parole du gouverneur de l'État de Yobe, l'un des trois États du nord-est du pays placés sous état d'urgence, a confirmé la chute de la ville.

«Il n'y a pas de soldats à Buni Yadi et selon des habitants, les militants de Boko Haram vont et viennent à leur guise», a déclaré à l'AFP Abdullahi Bego, porte-parole du gouverneur, Ibrahim Geidam.

«Beaucoup d'habitants ont fui de Buni Yadi vers la capitale de l'État, Damaturu», 60 kilomètres plus au nord.

Contactée par l'AFP, l'armée n'avait pas réagi officiellement à ces informations jeudi après-midi.

Les rebelles avaient déjà attaqué plusieurs fois la ville cette année, massacrant une quarantaine d'élèves dans le dortoir d'une école secondaire en pleine nuit en février. En avril, l'enlèvement de plus de 200 écolières à Chibok (État de Borno) a choqué le monde entier.

Selon des habitants de Buni Yadi, les militants de Boko Haram ont installé des barrages routiers et perpétré des exécutions sommaires, notamment de deux personnes qui fumaient des cigarettes.

«Je suis parti de Buni Yadi hier, car ma famille et moi nous n'y étions plus en sécurité», a déclaré Surajo Muhammad, un marchand. «Les hommes armés ont abattu deux hommes parce qu'ils fumaient et ils ont aussi tué un vendeur de drogue connu», a-t-il raconté.

Des meurtres confirmés par un autre habitant en fuite, Tijjani Bukar.

«Je ne pouvais pas rester plus longtemps parce que j'ai réalisé que ces gens vont rester là. Je croyais qu'ils ne resteraient que quelques jours, mais on a compris que la ville est devenue leur territoire», a-t-il expliqué.

Selon l'ONU, Boko Haram a pris ces dernières semaines le contrôle des villes de Damboa et de Gwoza, dans l'État voisin de Borno.

L'armée nigériane dit avoir repris Damboa, mais l'information n'a pas été confirmée de source indépendante.

«Évolution importante»

«S'emparer de territoires et y rester est une évolution importante du modus operandi de Boko Haram», estime Ryan Cummings, chef analyste pour l'Afrique de la société de sécurité Red 24, basée en Afrique du Sud.

Cette évolution est apparue de manière claire à partir d'avril, avec des combats dans plusieurs régions entre les insurgés et l'armée qui cherchait à reprendre les territoires perdus.

Des soldats se sont d'ailleurs mutinés cette semaine à Maiduguri, la capitale de l'État de Borno, exigeant d'être équipés de meilleurs armements pour reprendre la ville de Gwoza aux islamistes.

Selon Ryan Cummings, les récentes offensives de Boko Haram montrent que le groupe «lentement mais sûrement, est en train de réussir son premier objectif, la création d'un califat régi par la charia (loi islamique) dans le nord-est du Nigeria».

Les États de Borno, Yobe et Adamawa sont placés sous état d'urgence depuis mai 2013 et il est difficile d'avoir des informations fiables sur le conflit, en raison de l'insécurité extrême et de la mauvaise qualité des communications.

Peu de travailleurs humanitaires sont sur le terrain et l'armée donne peu d'informations.

Selon Jacob Zenn, chercheur à la fondation américaine Jamestown, les insurgés ont systématiquement détruit les routes et les ponts dans le nord-est, «rendant difficile l'envoi de renforts militaires».

L'insurrection de Boko Haram, qui dure depuis cinq ans, a fait 10 000 morts, selon un bilan donné par le président nigérian Goodluck Jonathan en mai.

Plus de 4000 personnes ont été tuées depuis le début de l'année dans le nord-est, selon Amnistie internationale.

Des villes entières ont été rasées et plus de 600 000 personnes ont dû fuir leurs foyers, selon l'ONU.