Plusieurs milliers de Kényans étaient réunis lundi à Nairobi pour une manifestation de l'opposition sous haute surveillance, en plein regain de tension après la mort d'une vingtaine de personnes dans de nouveaux raids près de la côte touristique.

Le chef de l'opposition, Raila Odinga, a appelé ses partisans à rejoindre en masse le parc Uhuru, au coeur de la capitale, pour dénoncer la politique du gouvernement, notamment l'insécurité, la corruption et des nominations dictées selon lui par des critères ethniques.

Des soldats et des policiers étaient présents en nombre tout autour du parc.

Les forces de sécurité ont tiré brièvement des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants qui leur jetaient des pierres dans des rues du centre-ville, où beaucoup de commerces ont fermé. À Kisumu, fief de M. Odinga dans l'ouest du pays, de jeunes manifestants en colère ont aussi essuyé des tirs de gaz lacrymogènes.

La manifestation de Nairobi a une forte charge symbolique. C'était sous le même cri de ralliement, «Saba Saba» («7/7» en swahili, pour 7 juillet), que l'opposition de l'époque avait, durant les années 1990, organisé des marches pour réclamer le multipartisme.

«La vie est devenue trop dure», a confié à l'AFP Mary Achieng, une coiffeuse de 23 ans venue de Juja, un bidonville en banlieue de Nairobi.

Elle espère que la manifestation «entraînera des changements, notamment pour répondre à l'insécurité, à la hausse du coût de la vie et au tribalisme».

La police a annoncé le déploiement de 15 000 agents, alors que le pays est déjà en alerte par crainte des islamistes somaliens shebab, affiliés à Al-Qaïda, décidés à punir le Kenya pour son engagement militaire en Somalie.

Attaques sur la côte

Les shebab ont revendiqué deux nouvelles attaques, perpétrées dans la nuit de samedi à dimanche dans la région proche de l'archipel touristique de Lamu (sud-est), qui ont fait au moins 21 morts.

C'est dans la même région qu'une soixantaine de personnes avaient été massacrées à la mi-juin.

Ces raids avaient aussi été revendiqués par les shebab. Mais le président Uhuru Kenyatta avait dénoncé des «violences ethniques aux motivations politiques»: il avait accusé des «réseaux politiques locaux» liés à des «gangs criminels», mettant en cause - sans la nommer - l'opposition, qui a farouchement nié toute implication.

Après les attaques du weekend, la police a accusé un groupe séparatiste, le Conseil républicain de Mombasa (MRC), qui réclame l'indépendance de la côte de l'océan Indien. Certains de ses membres présumés avaient été arrêtés après les raids de juin.

Depuis des jours, le «Saba Saba» attise les peurs de violences, sur fond de rhétorique guerrière et de divisions ethniques.

«Le Kenya risque l'implosion si tout le monde ne fait pas preuve d'un maximum de retenue», avertit le quotidien Daily Nation, en interpellant l'opposition et le pouvoir du président Kenyatta, vainqueur de Raila Odinga à la présidentielle de 2013.

L'Autorité kényane des communications a publié lundi dans la presse un message où elle met en garde les médias, en particulier les radios locales et ceux qui interviennent sur les réseaux sociaux pour relayer des «discours de haine».

«Le Kenya est une nation apparemment en guerre contre elle-même», affirmait il y a quelques jours la coalition Odinga, jugeant que les «relations interethniques» n'ont jamais été aussi «détériorées» au Kenya, première puissance économique d'Afrique de l'Est.

Le pouvoir a rejeté ces accusations et soupçonne l'opposition de vouloir «rendre le pays ingouvernable».

De peur que le «Saba Saba» ne débouche sur des violences, des familles à travers le pays ont rejoint ces derniers jours leur région d'origine, pour se mettre à l'abri au sein de leur propre communauté.

Le pays reste traumatisé par les violences qui avaient suivi la présidentielle de 2007, les pires qu'il ait connues depuis l'indépendance de 1963.

Le déchaînement de haines interethniques de fin 2007 - début 2008 s'était soldé par plus de 1200 morts. Et il vaut aujourd'hui au président Kenyatta et à son vice-président - alors dans des camps rivaux - d'être accusés de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale.

Le climat est encore alourdi par la mort d'une touriste russe, abattue dimanche par des hommes armés à Mombasa, la grande ville portuaire du littoral. Selon les autorités, elle a été victime de la «délinquance ordinaire», et non de terrorisme.