La «guerre» déclarée à Boko Haram par le Nigeria et ses voisins peut réussir si les moyens promis sont bel et bien mobilisés contre l'insurrection islamiste, estimaient des experts dimanche.

Annoncé à l'issue d'un sommet à Paris samedi, «l'accord auquel sont parvenus les dirigeants africains pour construire une coopération militaire régionale dans la guerre contre Boko Haram va changer la donne», juge Dapo Thomas, professeur de sciences politiques à l'université d'État de Lagos.

«Il pourrait mettre fin à la menace Boko Haram s'il est effectivement mis en oeuvre», affirme-t-il. «Encore faut-il pour cela que les leaders mettent de côté leurs rivalités individuelles», précise-t-il toutefois.

«Il faut avant tout une volonté politique commune», renchérit Nwolise Osisioma, directeur du département des sciences politiques et des relations internationales à l'université d'Ibadan.

Le sommet s'est tenu en pleine mobilisation internationale pour sauver les 223 adolescentes enlevées il y a un mois dans le nord-est du Nigeria par le groupe islamiste, qui a aussi multiplié dernièrement les attaques meurtrières, y compris au Cameroun voisin.

Réunis par le président français François Hollande, le chef de l'État nigérian Goodluck Jonathan et ses homologues du Tchad, du Cameroun, du Niger et du Bénin ont annoncé un plan de lutte régionale de grande envergure, auquel les Occidentaux doivent apporter leur soutien.

Ce plan prévoit «la coordination du renseignement, l'échange d'informations, le pilotage central des moyens, la surveillance des frontières, une présence militaire autour du lac Tchad et une capacité d'intervention en cas de danger», selon François Hollande.

L'accord prévoit notamment des «patrouilles coordonnées, ce qui n'était pas le cas, entre les pays limitrophes» du Nigeria, a souligné le chef de la diplomatie française Laurent Fabius.

Le professeur Dapo Thomas souligne l'importance de la dimension régionale, car «le Nigeria n'a pas les moyens de mener cette bataille seul. Il a besoin de la coopération des pays voisins» pour lutter contre Boko Haram, qualifié lors du sommet de «secte terroriste» liée à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de «menace majeure» pour la région.

Selon cet expert, il est établi que les combattants de Boko Haram ont coutume de passer la frontière pour se mettre à l'abri après avoir perpétré leurs attaques.

«Ce n'est pas un hasard si la plupart des attaques de Boko Haram se produisent près des frontières», note Dapo Thomas. «Une opération militaire conjointe aux frontières aidera grandement à juguler ces attaques».

«Mieux vaut tard que jamais»

L'éditorialiste du quotidien nigérian This Day, Simon Kolawole, considère cependant comme une «honte» qu'il ait fallu un événement aussi tragique que l'enlèvement des adolescentes pour que les dirigeants de la région se décident à travailler ensemble.

«Le président Goodluck Jonathan avait déjà recherché par le passé la médiation de François Hollande pour dialoguer avec nos voisins francophones. Mieux vaut tard que jamais. Reste maintenant à bâtir une stratégie et à ce que les pays s'engagent réellement dans la guerre», analyse-t-il.

Nombre d'observateurs estiment que c'est surtout la coopération entre Nigeria et Cameroun qui a fait défaut jusque-là.

Mais la responsable Afrique du ministère américain de la Défense, Alice Friend, soulignait samedi que «le Nigeria est un partenaire avec lequel il est extrêmement difficile de travailler».

Le mouvement nigérian de soutien aux adolescentes, rassemblé sous le slogan «Bring back our girls» («Rendez-nous nos filles»), a lui aussi appelé à passer des paroles aux actes. Il faut un «mécanisme pour assurer l'exécution» du plan annoncé à Paris, a souligné Oby Ezekwesili, coordinatrice de ce mouvement qui a alerté l'opinion publique mondiale.

Sur le plan militaire, «les dirigeants (africains) vont devoir surmonter des problèmes de logistique et de partage du renseignement», insiste cependant le professeur Nwolise Osisioma.

Le sous-équipement des militaires nigérians du nord-est, y compris en simples radios, pose aussi problème pour la mise en oeuvre du plan de «guerre» contre Boko Haram, alors que François Hollande rappelait samedi que «ce groupe terroriste est armé avec des moyens lourds».

Mais, pour Nwolise Osisioma, «le Nigeria a les moyens militaires de combattre Boko Haram. Ce qui manque, c'est le renseignement».

Il rappelle aussi qu'il ne faut pas exclure le dialogue avec les rebelles. «La crise n'aurait pas atteint un tel point si le gouvernement avait négocié dès le début de la rébellion en 2009».