«J'ai enlevé vos filles. Je vais les vendre sur le marché, au nom d'Allah.»

Ces phrases terrifiantes ont instantanément fait d'Abubakar Shekau, le leader du groupe terroriste nigérian Boko Haram, une triste célébrité mondiale. Dans une vidéo, il a revendiqué au nom de son groupe l'enlèvement de 276 écolières le 14 avril. De ce nombre, 53 ont réussi à s'enfuir.

Peu connu du public, Abubakar Shekau est l'un des terroristes les plus recherchés par le département d'État américain, qui offre depuis 2012 une récompense de 7 millions de dollars à qui aidera à le capturer.

«Boko Haram a passé sous le radar des médias jusqu'à l'enlèvement des jeunes filles. En Occident, les problèmes de l'Afrique passent toujours un peu sous le radar. On dispose donc de très peu d'information sur Shekau», explique François Audet, directeur de l'Observatoire canadien sur les crises et l'aide humanitaire (OCCAH).

Sa jeunesse

Personne n'arrive à dire en quelle année il est né. Les hypothèses vont de 1965 à 1975. Il a grandi dans la ville de Maiduguri, dans le Borno, un État agricole pauvre situé au nord-est du pays qui partage sa frontière avec le Cameroun, le Tchad et le Niger. La population y est très majoritairement musulmane, mais environ 2%, soit une centaine de milliers d'habitants, sont chrétiens.

«Shekau vient d'un milieu très pauvre, et il a été élevé dans un islam conservateur. Sa radicalisation semble avoir été causée par sa relation avec le fondateur de Boko Haram, Mohammed Yusuf, un imam extrémiste», explique François Audet.

«Il ne semble pas avoir beaucoup voyagé à l'extérieur de l'Afrique centrale et de l'Ouest. Il n'a pas étudié à l'étranger comme certains d'Al-Qaïda. Il n'a pas profité du système occidental pour le connaître et le combattre», poursuit M. Audet.

Son ascension

Mohammed Yusuf a été exécuté en 2009 par les forces nigérianes. On croyait aussi avoir tué Shekau lors de l'opération. Mais en 2010, il apparaît dans une vidéo et s'autoproclame successeur de Yusuf.

Depuis son arrivée à la tête du groupe, les enlèvements, les attaques contre des écoles de sa région, des villages, des intérêts étrangers, des médias et des chrétiens se multiplient à un rythme effarant, causant des milliers de morts jusque dans la capitale, Abuja.

Le groupe recourt à l'extorsion, au racket de protection et aux braquages pour se financer, ce qui fait supposer aux observateurs que les appuis du groupe à l'étranger demeurent modestes.

Abubakar Shekau se réclame de la philosophie d'Al-Qaïda et d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Une philosophie contestée

Mais Shekau est aussi très contesté parmi les djihadistes nigérians.

Sous le règne de Mohammed Yusuf, Boko Haram n'a jamais prôné les attaques contre des compatriotes, chrétiens ou musulmans. Cela a changé depuis l'arrivée de Shekau.

«Cela a causé une scission dans le groupe, avec le départ d'Abubakar Adam Kambar et un groupe dissident qui a émergé en 2012 pour kidnapper des expatriés», peut-on lire dans Boko Haram: Islamism, politics, security and the state in Nigeria, dirigé par Marc-Antoine Pérouse de Montclos, de l'Université Paris 8. «Le leader de cette nouvelle organisation est en désaccord avec Abubakar Shekau parce qu'il considère que les vrais ennemis de l'islam sont les Occidentaux. Comme une autre faction, celle de Khalid al-Barnawi «Abu Hafsat», pour qui les attaques contre des musulmans innocents sont une mauvaise interprétation de l'islam. [...] La question des chrétiens a aussi été une source de dissension entre les trois leaders qui ont succédé à Mohammed Yusuf.»

«Avec les récents enlèvements de jeunes filles, Shekau nuit à sa propre cause, renchérit François Audet. S'il veut avoir un minimum de légitimité dans la population qu'il tente de convaincre, il ne doit pas se la mettre à dos. C'est plus proche de la folie que d'un programme politique. Il se met même à dos des fondamentalistes qui sont pourtant contre les droits des femmes.»

Comment le faire tomber?

Abubakar Shekau semble insaisissable.

«Le Nigeria est un pays tropical, forestier, où il y a de nombreuses cachettes. C'est un grand pays très peuplé (177 millions d'habitants, le plus populeux d'Afrique). Le personnage fait assez peur pour avoir créé des alliances forcées avec des élus locaux», explique François Audet, qui ne croit pas qu'une intervention militaire internationale soit nécessaire.

«Le Nigeria a une capacité militaire suffisante pour le débusquer avec le soutien technologique et l'expertise internationale pour le localiser. Mais il ne doit pas être abattu par un drone américain», poursuit M. Audet, qui craint qu'une telle frappe ne monte davantage la population contre les Occidentaux.