On se prête ses épouses depuis des générations dans des tribus nomades du nord-ouest de la Namibie. Mais la question de l'encadrement de cette tradition pour prévenir le sida a lancé dans le pays un vif débat sur les droits des femmes.

«C'est une pratique qui nous apporte unité et amitié», dit Kazeongere Tjeundo, un député de la tribu ovahimba.

«C'est un viol», lui répond la féministe Rosa Namises.

Les tribus ovahimba et ovazemba ont résisté aux assauts de la modernité. Elles mènent une paisible vie pastorale loin de tout, vivant le plus souvent dans des huttes de terre sèche.

Les hommes se prêtent ou s'échangent leurs femmes, entre amis. Mais il ne s'agit pas d'échangisme au sens occidental du terme, ni de triolisme : le couple d'un jour est laissé seul pendant l'acte, l'autre conjoint restant à l'écart dans une autre hutte.

«C'est à vous de choisir d'autoriser votre meilleur ami à coucher avec votre femme», précise Kazeongere Tjeundo, vice-président de l'Alliance démocratique de la Turnhalle, un parti d'opposition.

Mais les femmes n'ont pas leur mot à dire. Elles se doivent de coucher avec les amis de leur mari, ce que Rosa Namises considère comme un viol. «Et le viol est illégal», rappelle-t-elle.

«Cette pratique ne profite pas aux femmes, mais aux hommes qui veulent pouvoir contrôler leurs partenaires», dit cette ancienne députée qui dirige l'ONG Woman Solidarity Namibia.

Appelée «okujepisa omukazendu» - ce qu'on peut traduire par «offrir une épouse à un invité» -, cette coutume confinée à la région isolée du Kumene fait d'autant plus bondir les défenseurs des droits de l'homme que le sida fait des ravages en Namibie. Le taux de prévalence dépasse les 18 % chez les adultes dans ce pays désertique d'à peine plus de 2 millions d'habitants.

Peur de défier les maris

«C'est une coutume qui met en danger la santé des femmes», souligne Amon Ngavetene, responsable du projet sida du Centre d'assistance légale (LAC). Selon lui, la plupart des femmes voudraient voir cette tradition disparaître.

Kambapira Mutumbo, 40 ans, se dit pourtant fort satisfaite d'avoir couché avec plusieurs amis de son mari. «Je l'ai encore fait cette année», dit-elle. «Je n'ai aucun problème avec ça». «C'est bien, ça fait partie de notre culture. Pourquoi changer?»

Cependant, Cloudina Venaani, une analyste travaillant pour le Programme de développement des Nations unies en Namibie, est catégorique : les femmes ne tolèrent cette coutume que parce qu'elles ont peur de défier leurs époux.

La plupart des traditionalistes estiment qu'elle ne viole pas les droits des femmes, car celles-ci sont également libres d'amener des amies pour leurs maris. Mais elles ne le font dans la pratique quasiment jamais.

Comme d'autres défenseurs de la coutume, Uziruapi Tjavara, le chef de l'autorité traditionnelle des Otjikaokos, veut que ses sujets puissent continuer à s'échanger leurs femmes. Mais il propose d'encadrer la pratique en la jumelant avec une campagne éducative sur les dangers du sida.

Le député Kazeongere Tjeundo ne dit pas autre chose. Il veut promouvoir l'usage des préservatifs de façon à instaurer de «bonnes pratiques». Afin, dit-il, que le sida ne soit pas utilisé comme un prétexte pour forcer son peuple à renoncer à ses pratiques ancestrales.