La «majorité» du territoire centrafricain reste sous la loi de chefs de guerre malgré la présence des forces française et africaine, ont affirmé mercredi à Paris l'archevêque et l'imam de Bangui, qui ont appelé la communauté internationale à accroître son soutien aux nouvelles autorités de transition.

«Au niveau de Bangui, il y a une stabilité (...), mais les seigneurs de guerre occupent encore la majorité du pays et font la loi», a déclaré à l'AFP l'imam Oumar Kobine Layama, président de la communauté islamique de Centrafrique. «Les populations se terrent dans la brousse, elles ont peur», a-t-il affirmé, alors que la Centrafrique est plongée dans le chaos depuis le coup d'État de mars 2013.

«Actuellement, dans le pays, les «anti-balaka» (milices chrétiennes) sont partout, les Séléka (ex-rébellion à majorité musulmane) sont partout. Les gens sont, surtout à l'intérieur du pays, à la merci de tous ces seigneurs de guerre», a renchéri l'archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, qui, avec l'imam Kobine Layama, était cette semaine à Bruxelles, avant Paris, où les deux hommes seront reçus jeudi par le président François Hollande, puis Londres.

Se félicitant de l'élection lundi de Catherine Samba-Panza à la présidence de transition - «une bonne nouvelle» -, les deux responsables religieux ont exhorté la communauté internationale à la soutenir. «Tous doivent être derrière elle pour que la transition devienne une réalité, il faut la soutenir, l'encourager, l'aider», a déclaré Mgr Nzapalainga.

«Nous ne doutons pas de sa capacité», a déclaré l'imam Kobine Layama. «Elle est connue comme une femme de fer qui travaille et ne recule pas devant les difficultés», mais, a-t-il souligné, «elle est confrontée à des défis énormes, le désarmement, le cantonnement des milices...».

Comme en décembre, les deux hommes ont de nouveau appelé au déploiement d'une force de maintien de la paix de l'ONU en Centrafrique.

«Nous pensons qu'il faut rapidement une force onusienne», a déclaré Mgr Nzapalainga. «La France est venue, l'Europe arrive aussi, mais le pays ne se réduit pas à Bangui et ce n'est pas avec 6000 hommes qu'on pourra couvrir un pays grand comme la France et le Luxembourg» a-t-il estimé.

La France a déployé depuis le 10 janvier 1600 hommes en Centrafrique, en soutien à une force de l'Union africaine (MISCA), qui compte actuellement quelque 4400 hommes, plus 850 soldats rwandais en cours de déploiement. L'Union européenne a promis lundi de dépêcher 500 hommes en renfort.

Les violences font dix morts à Bangui

De nouvelles violences ont fait au moins dix morts mercredi à Bangui, à la veille de la prestation de serment de la présidente de transition, Catherine Samba Panza, qui a fait de la pacification de la Centrafrique, ravagée par des tueries interreligieuses, sa priorité.

Ces violences ont opposé des combattants musulmans ex-Séléka à des civils et à des miliciens chrétiens anti-balaka, ont indiqué à l'AFP des témoins sous couvert d'anonymat.

Les affrontements se sont déroulés près du camp Kasaï, non loin du centre-ville, où sont cantonnés d'ex-rebelles, et de la prison centrale, située dans le même quartier, selon ces témoins.

Ils ont indiqué avoir vu les cadavres de six ex-rebelles Séléka alignés devant la prison centrale et de quatre civils chrétiens aux abords du bâtiment.

«Quatre ex-Séléka, qui se trouvaient dans la prison, ont été tués par des miliciens anti-balaka», a précisé une source diplomatique.

Quelques tirs ont également été entendus jusqu'à l'intervention de soldats de l'opération française Sangaris et de la force africaine MISCA, ont indiqué des habitants, selon qui la tension restait très vive dans le secteur dans l'après-midi.

Un journaliste de l'AFP a constaté la mort d'un ex-rebelle, le corps profondément entaillé à coups de machette. Des infirmiers de l'opération Sangaris ont tenté en vain de le sauver.

À sa mort, plus d'une centaine de chrétiens du quartier ont manifesté leur joie, selon ce journaliste.

Pillages et haine

La résidence de la nouvelle présidente de transition Catherine Samba Panza - qui doit prêter serment jeudi et prendre ainsi officiellement la suite de Michel Djotodia - se trouve à une centaine de mètres de la prison.

M. Djotodia, qui avait renversé le régime de François Bozizé en mars 2013 à la tête de sa coalition rebelle Séléka, a été contraint à la démission le 10 janvier, sous pression de la communauté internationale excédée par son incapacité à arrêter les tueries entre chrétiens et musulmans.

Dans le nord de la capitale, au PK-13, des pillages de commerces et de maisons ont également eu lieu, sur fond de manifestations de haine entre chrétiens et musulmans, entraînant l'intervention de soldats rwandais de la MISCA pour calmer des esprits chauffés à blanc, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Ces nouvelles violences rappellent que rien n'est réglé en Centrafrique pour l'instant, même si l'élection de Mme Samba Panza - qui a fait de la pacification du pays sa première priorité après des mois de tueries interreligieuses - a été favorablement accueillie par la population et la communauté internationale.

S'exprimant mardi devant la presse à Bangui, la nouvelle présidente a souligné que «nous avons des milliers de jeunes qui ont des armes, qui sont soit dans la Séléka , soit anti-balaka . Si on lâche ces jeunes dans la rue, on n'aura pas résolu le problème», a-t-elle relevé.

Si la Centrafrique a vécu des semaines de tueries interreligieuses, oeuvres notamment de ces combattants, le fléau des groupes armés et rébellions qui rançonnent et s'en prennent aux populations dure depuis des années dans un pays où l'administration - y compris la police et la gendarmerie - a disparu de régions entières.

Jeunesse «sans avenir»

«Il faut qu'on voie avec le gouvernement qui sera mis en place (...) quelles opportunités offrir à ces jeunes-là», a promis la nouvelle présidente, «parce que c'est par dépit souvent, dans l'extrême pauvreté et sans avenir, que ces jeunes se lancent dans des actions de violence».

Car pour pacifier et désarmer durablement, il faut réinsérer tous ces hommes armés - à qui le fusil d'assaut garantit de trouver à manger tous les jours - en leur assurant tout de suite un minimum de ressources.

Or dans l'immédiat, Mme Samba Panza se trouve face à une muraille budgétaire. Les caisses de ce qui reste de l'État centrafricain sont totalement vides. Là encore, ce n'est pas une nouveauté dans un pays où certains fonctionnaires cumulent sept à huit années d'arriérés de salaire.

«Je n'ai pas d'argent dans les caisses pour le moment et c'est une préoccupation pour moi (...) Sans paiement de salaires, les fonctionnaires n'auront pas la possibilité de reprendre le travail», a-t-elle insisté en soulignant une nouvelle fois l'urgence à agir.

Lundi, les pays donateurs se sont engagés à débloquer 496 millions de dollars en 2014 pour aider la Centrafrique.