Le conflit au Soudan du Sud vient d'entrer dans son deuxième mois. Les combats sur le territoire du plus jeune État du monde auraient déjà fait des milliers de morts et quelque 400 000 déplacés. Notre journaliste sur le terrain raconte le calvaire de ces sinistrés.

Aussi loin que porte le regard, chaque arbre a été pris d'assaut par plusieurs familles. Les branches offrent un peu d'ombre pour se protéger du soleil intense ou un point d'accroche pour une moustiquaire. Environ 80 000 personnes se sont rassemblées ici, à Mingkamen, une localité située au bord du Nil Blanc, au Soudan du Sud.

Toutes ont fui les violences qui ont lieu autour de la ville de Bor, de l'autre côté du fleuve, à environ 30 km plus au nord. «J'ai vu mes trois frères se faire abattre, témoigne William Deng, dont les pieds portent les marques de sa course effrénée. Soldats ou civils, tout le monde était visé, même les vieillards et les enfants.»

Le 15 décembre, date à laquelle les premiers coups de feu ont été tirés à Juba, la capitale sud-soudanaise, le gouvernement a affirmé que des soldats ont dû intervenir contre un coup d'État imminent.

Rapidement, le conflit s'est étendu au reste du pays. Lancé par une dispute politique, il s'est dessiné le long de lignes ethniques entre les deux principales communautés du pays, les Dinka, généralement fidèles au président Salva Kiir, et les Nuer, qui constituent la majeure partie de la rébellion. Un cercle difficile à briser alors que se réveillent de vieilles rancoeurs et des différends jamais résolus.

Civils pourchassés

Selon l'ONU, plus de 400 000 personnes ont été déplacées par les affrontements au Soudan du Sud, depuis la mi-décembre. Bon nombre d'entre elles ont trouvé refuge dans différentes bases onusiennes dans tout le pays, comptant sur la protection des forces internationales. D'autres ont rejoint l'Ouganda, l'Éthiopie, le Soudan ou le Kenya. Un nouvel exode pour les Soudanais du Sud qui ont connu des décennies de conflits avec Khartoum.

Fin décembre, les forces d'opposition, association de groupes hétéroclites, sont arrivées dans la ville de Bor, à un peu moins de 200 km au nord de la capitale et ont pourchassé les civils dinka.

Malgré l'intervention d'urgence des organisations humanitaires, à Mingkamen, l'accès à l'eau potable et à la nourriture reste limité. Et des bateaux continuent d'arriver chaque matin, amenant de nouveaux déplacés.

Ils ont payé jusqu'à 150 livres sud-soudanaises (environ 30$) par personne pour monter à bord de ces chaloupes en bois surchargées, tenant dans leurs bras le peu qu'ils ont pu emporter.

Après un voyage de huit à dix heures - les bateaux s'arrêtent pendant la nuit afin de ne pas accoster dans l'obscurité pour des raisons de sécurité -, des femmes, des enfants, des vieillards débarquent par dizaines, affamés, épuisés.

Dès l'aube, une foule se presse sur la rive, dans l'espoir d'apercevoir, parmi ceux qui arrivent en pataugeant dans l'eau, des membres de la famille perdus dans la fuite.

«Sauver mes enfants»

«Je me suis caché dans la brousse et dans la rivière pendant trois semaines. Je n'avais pas de quoi payer le voyage, dit Wuoi Achier, un homme qui vient de mettre pied à terre. Je suis parti en laissant ma maison et tout ce que je possédais. Tout ce qui comptait, c'était sauver mes enfants.»

Des blessés par balle arrivent aussi chaque jour. «Les rebelles sont arrivés au village et ils ont tiré sur tout le monde», dit une vieille dame, allongée sur le sol d'une clinique gérée par Médecins sans frontières, attendant d'être examinée. «J'ai couru pour me réfugier dans une église avec d'autres femmes. Mais nous avons été poursuivies, et presque tout le monde a été tué. Nous ne sommes que deux à nous être échappées.»

Les combats se poursuivent autour de la ville de Bor. Et selon ceux qui arrivent à Mingkamen, les blessés et les morts seraient très nombreux de l'autre côté du Nil.

Le conflit

C'est une lutte de pouvoir au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), l'ancienne rébellion contre le régime soudanais, qui a déclenché les hostilités. En juillet 2013, le président sud-soudanais Salva Kiir a procédé à la dissolution complète du gouvernement, évinçant notamment son vice-président Riek Machar, qui avait annoncé son intention de se présenter lors de l'élection présidentielle prévue en 2015. Les premiers affrontements ont eu lieu le 15 décembre, entre des soldats, au sein de la garde présidentielle: une tentative de coup d'État selon le gouvernement; une purge pour les opposants. 

Souvent, le conflit a pris une tournure ethnique, opposant les deux principales communautés du pays, les Dinka (l'ethnie du président) et les Nuer (celle de Riek Machar). Des pourparlers, chapeautés par l'Igad (Autorité intergouvernementale pour le développement de l'Afrique de l'Est), sont en cours à Addis Abeba, la capitale éthiopienne, pour tenter de mettre fin aux hostilités et la communauté internationale fait pression pour la signature rapide d'un accord. Mais les négociations piétinent.