Des soldats tchadiens de la force africaine en Centrafrique (Misca) ont tiré lundi sur des manifestants à Bangui, faisant au moins un mort et une quarantaine de blessés, alimentant encore un peu plus la défiance de la population qui les accusent de complicité avec les ex-rebelles Séléka.

Plusieurs milliers de manifestants majoritairement chrétiens étaient regroupés près de l'entrée de l'aéroport pour demander «le départ» du président Michel Djotodia, musulman. Les manifestants exigeaient également le départ du pays des soldats tchadiens de la Misca, aux cris de «Pas de Tchadiens à Bangui».

Certains d'entre eux portaient des pancartes sur lesquelles étaient inscrits les slogans: «Oui à l'opération Sangaris (de l'armée française), non à l'armée tchadienne», ou encore «Oui à la France, non à la Séléka», l'ex-rébellion musulmane qui a pris le pouvoir en mars 2013.

Vers 7H40 locales, deux 4X4 de soldats tchadiens ont alors fait irruption et se sont approchés du rassemblement. Des manifestants ont commencé à jeter des pierres dans leur direction. Les militaires tchadiens ont réagi en tirant en l'air et dans la foule.

Des soldats français sont intervenus assez rapidement, et ont tiré en l'air pour disperser les derniers manifestants, mettant fin à l'incident. Ils ont également évacué les victimes.

Une personne a été tuée par balle, a constaté un journaliste de l'AFP.

Une quarantaine de blessés ont été déplacés vers un hôpital d'urgence installé par Médecins sans frontières (MSF) sur l'aéroport, selon Lindis Hurum, coordinatrice sur place de cette ONG. «Trois d'entre eux sont dans un état grave, dont l'un a été touché par balle», a-t-elle précisé.

«J'étais venu pour voir la manifestation, je me suis fait tirer dessus dans la jambe», a raconté Ludovic, l'un de ces blessés.

«Ils nous tuent comme des animaux!»

«On réclame nos droits, et on nous donne la mort. Il y a plein d'exactions, on n'en peut plus. Les Tchadiens sont des terroristes», accusait un manifestant. «Ça fait des mois qu'on vit ça ici. Ils nous tuent comme des animaux. On ne veut pas des Misca Tchadiens», renchérissait une jeune femme.

Les habitants de Bangui, ville très majoritairement chrétienne, accusent les Tchadiens de la Misca de complicité avec l'ex-Séléka. Incontournable allié de la France en Afrique centrale et au Sahel, puissance régionale, le Tchad du président Idriss Déby Itno est omniprésent en RCA. Beaucoup voient la main de N'Djamena derrière la prise du pouvoir par les armes de la rébellion Séléka en mars 2013.

Officiellement dissoute, la Séléka, qui a fait régner la terreur pendant des mois dans Bangui, compte par ailleurs dans ses rangs des mercenaires tchadiens et soudanais, bien souvent les pires des soudards et les premiers responsables des exactions contre les populations.

Contrecoup de cette influence tchadienne, des ressortissants tchadiens sont la cible des attaques des milices d'autodéfense chrétiennes «anti-balaka» et de la population. Dans un amalgame infernal, Tchadiens, Centrafricains originaires du nord du pays, et civils musulmans sont désormais rejetés en bloc par les populations chrétiennes de Bangui, car assimilés à l'ex-Séléka honnie.

La plupart des ex-séléka désarmés

Près d'un millier de personnes ont été tuées depuis le 5 décembre dans la capitale et en province dans les violences confessionnelles, selon Amnesty International. La plupart des victimes ont été tuées dans des représailles de la Séléka, mais également dans les attaques et atrocités des milices anti-balaka.

Ces violences ont précipité l'intervention militaire de la France, qui tente depuis lors de désarmer les belligérants et opère en appui à la Misca, forte de 3.700 militaires.

Après un répit de quelques jours, les incidents ont repris depuis jeudi soir, éclatant de façon intermittente dans plusieurs quartiers où les tensions intercommunautaires restent vives et la situation extrêmement instable.

Dimanche, c'était au tour des musulmans et partisans de l'ex-Séléka de manifester, pour dénoncer cette fois la «partialité» supposée des 1600 soldats français de l'opération Sangaris. Le matin même, trois combattants de l'ex-rébellion avaient été tués par les militaires français dans un accrochage avec un groupe d'hommes «s'apprêtant à faire usage de leurs armes», selon l'état-major français.

Depuis le début de ses opérations de désarmement des milices et groupes armés, l'armée française a neutralisé en priorité les combattants de l'ex-Séléka, aujourd'hui pour la plupart désarmés et cantonnés.

Pour nombre de musulmans, ce désarmement les prive de la protection des ex-Séléka et les laisse à la merci de la vindicte populaire et des milices «anti-balaka». Ils en rendent responsable l'armée française, qui de son côté n'a de cesse de réaffirmer son «impartialité» et a conduit la semaine dernière plusieurs opérations de désarmement dans des fiefs «anti-balaka» de Bangui.

Dans le reste de la capitale, la situation était calme lundi matin, après une nuit sans incident majeur. L'activité reprenait normalement dans le centre-ville.