Avec l'accord de l'ONU, l'armée française a débuté jeudi son intervention pour restaurer la sécurité en Centrafrique, où la situation a commencé à dégénérer avec le massacre d'au moins 130 personnes à Bangui.

«Vu l'urgence, j'ai décidé d'agir immédiatement, c'est-à-dire dès ce soir (...)», a annoncé le président français François Hollande, lors d'une courte déclaration à la télévision française.

L'opération française «sera rapide», elle «n'a pas vocation à durer et je suis sûr de son succès», a déclaré M. Hollande. «La France n'a pas d'autre objectif que de sauver des vies humaines», a-t-il assuré, quelques heures à peine après le vote à l'unanimité d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU donnant mandat aux forces françaises pour intervenir en République centrafricaine.

Cette annonce officielle du début de l'opération «Sangaris» (du nom d'un papillon rouge) dans la foulée du vote à l'ONU tombe au terme d'une journée de massacre à Bangui, sous couvre-feu dès la nuit tombée, et où les habitants vivaient dans l'angoisse des heures à venir.

«Dans certains quartiers, ça va être terrible, ça va tuer», redoutait un jeune homme, cloîtré chez lui comme la quasi-totalité de la ville.

La journée terrible a débuté avant l'aube, lorsque de violents affrontements ont éclaté dans le nord de la capitale. «Des groupes armés ont lancé une offensive sur la ville. Les forces de l'ex-Séléka (ex-rébellion, au pouvoir) ont rétorqué», a témoigné l'ONG Médecins sans frontières (MSF).

Dans l'après-midi, les journalistes de l'AFP ont comptabilisé au moins 54 cadavres rassemblés dans une mosquée du centre-ville, et 25 cadavres gisant dans les rues voisines, abandonnés sur le bas-côté. Les corps portaient des marques de blessures à l'arme blanche et par balles.

«C'était les maisons des musulmans!»

Aux abords de la mosquée, des hommes, machette à la main, criaient leur colère. «C'est une guerre qu'ils veulent mener», lançait l'un. «Ils savaient que c'était les maisons des musulmans» quand ils sont venus tuer, lançait l'autre. Un troisième ajoutait: «c'est trop, on ne va pas supporter ça».

À l'hôpital communautaire de Bangui, MSF en fin de journée a fait état de 50 morts et 80 blessés. D'autres quartiers de la ville restaient inaccessibles, laissant présager un nombre bien plus élevé de victimes.

La Centrafrique est plongée dans le chaos et un engrenage de violences communautaires et interreligieuses entre chrétiens et musulmans depuis le renversement en mars du président François Bozizé par une coalition hétéroclite à dominante musulmane, la Séléka.

Ces violences se sont multipliées ces dernières semaines, à Bangui et en province, dans un pays en totale décomposition, comptant 4,6 millions d'habitants sur un territoire grand comme la France, au coeur du continent.

La résolution de l'ONU, adoptée par les 15 pays membres du Conseil sur proposition de la France -- ancienne puissance coloniale --, autorise les soldats français en RCA à «prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la Misca (force africaine en RCA) dans l'accomplissement de son mandat».

La Misca pourra se déployer «pour une période de douze mois», avec pour mission de «protéger les civils, rétablir l'ordre et la sécurité, stabiliser le pays» et faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire.

La force doit compter jusqu'à 3600 hommes, mais n'en rassemble pour l'instant que 2500, mal équipés et entraînés.

Paris dispose déjà sur place d'environ 650 hommes. Ces effectifs seront «doublés d'ici quelques jours pour ne pas dire quelques heures», a promis le président Hollande.

Près de 350 militaires français stationnent actuellement au Cameroun, dont une partie devrait franchir la frontière centrafricaine par la route.

Les militaires de Sangaris auront notamment pour mission de sécuriser l'aéroport de Bangui et les principaux axes du pays.

«(...) Les choses vont aller très vite», a prévenu en début de journée le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius, alors que se tient ce vendredi et samedi à Paris un sommet franco-africain sur la paix et la sécurité en Afrique.

Selon le porte-parole de l'état-major français, le colonel Gilles Jaron, «environ 250 soldats français se sont déployés» dès jeudi matin dans Bangui» depuis leur base près de l'aéroport, avec pour mission de «sécuriser les points sensibles» et de regroupement pour les étrangers.

«L'armée française est une amie»

Dans une allocution radio-diffusée à la mi-journée, le président Michel Djotodia, issu des rangs de l'ex-rébellion Séléka, a appelé la population «à garder son calme»: «l'armée française est une amie de la Centrafrique», les soldats français «ne se sont pas déployés pour soutenir un camp au détriment d'un autre», a-t-il souligné.

M. Djotodia a par ailleurs annoncé l'extension immédiate de quatre heures du couvre-feu, imposé désormais de 18H00 à 06H00. Le gouvernement a également ordonné la fermeture des frontières avec la RDC.

Les autorités ont imputé la responsabilité des violences du jour à des milices chrétiennes «anti-balaka» (anti-machettes) et à des éléments favorables au président déchu François Bozizé.

Le scénario cauchemar de massacres interreligieux à grande échelle semble donc malheureusement se préciser, au milieu d'une anarchie généralisée.

Après avoir subi des mois durant la loi d'airain et les exactions des ex-rebelles Séléka, pour la plupart musulmans, certains dans la capitale, très majoritairement chrétienne, pensent que l'heure de la vengeance a sonné.

Une extrême tension règne désormais dans les rues de Bangui désertées, par endroits livrées aux pillages, et où ne circulent plus que les pick-up des combattants Séléka surarmés.

Les habitants restent terrés chez eux, terrorisés par les ex-rebelles désireux de se venger des attaques de la matinée, qui écument les quartiers et défoncent une à une les portes des maisons à la recherche «d'infiltrés» présumés.

Près de 80 morts dans une mosquée

Près de 80 cadavres gisaient jeudi dans une mosquée de Bangui et dans les rues de la ville après les violences de la matinée, ont constaté des journalistes de l'AFP.

À la mosquée du quartier PK5, dans le centre de la capitale, 54 cadavres étaient alignés dans la salle de prière et la cour intérieure, portant des marques de blessures à l'arme blanche et par balle. Dans les rues voisines, les journalistes ont comptabilisé 25 cadavres abandonnés sur le bas côté.

«Les corps ont été amenés dans la matinée par des gens du quartier», a expliqué à l'AFP un responsable de la mosquée qui a souhaité garder l'anonymat. La mosquée était remplie d'hommes et de femmes venus chercher un parent disparu.

Signe de l'extrême tension régnant dans la ville, les abords de la mosquée étaient bondés d'hommes portant des machettes, alors que les rues voisines, dans lesquelles gisaient d'autres corps, étaient désertes.

De son côté, l'ONG Médecins sans frontières (MSF) a recensé en début d'après-midi à l'hôpital communautaire de Bangui 10 morts et 65 blessés, victimes de tirs ou d'armes blanches. Ce bilan partiel ne concernait que l'un des hôpitaux de la ville, et laissait présager un nombre élevé de victimes dans cette nouvelle vague de violences dans un pays livré à l'anarchie.

Des tirs d'armes automatiques et des détonations d'armes lourdes ont éclaté avant l'aube dans plusieurs quartiers de la capitale. Les tirs ont débuté dans la zone du PK-12, dans le nord de la ville, puis se sont étendus à d'autres quartiers, notamment non loin du centre, dans la zone du fleuve.

Au fil des heures, les tirs ont nettement diminué d'intensité, même si à 14 h (8 h à Montréal) des tirs épisodiques étaient encore signalés dans certains quartiers.

Suite aux violences, le président centrafricain de transition Michel Djotodia a annoncé jeudi l'extension immédiate de quatre heures du couvre-feu, imposé désormais de 18 h à 6 h. Appelant la population terrorisée «à garder son calme» dans une allocution radiotélévisée, M. Djotodia a ajouté que «l'armée française est une amie de la Centrafrique», quelques heures avant le vote par le conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution autorisant la France à intervenir militairement aux côtés d'une force africaine pour rétablir la sécurité dans le pays.

Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius avait déclaré auparavant qu'«autour de 1200» soldats français seraient déployés en Centrafrique pour une intervention qui débutera «dans les jours qui viennent».

Selon un officier de la force africaine MISCA, les tirs ont commencé après que des ex-rebelles Séléka, intégrés dans les nouvelles forces de sécurité, eurent détecté des «infiltrations» de milices hostiles au régime près de l'aéroport avant de gagner d'autres quartiers.

Ce regain de tension survient alors qu'une résolution proposée par Paris, qui préside le Conseil de sécurité.

La résolution, adoptée à l'unanimité, donne mandat à la MISCA de se déployer «pour une période de douze mois».

Sa mission sera de «protéger les civils, rétablir l'ordre et la sécurité, stabiliser le pays» et faciliter l'acheminement des secours dont la population a un besoin urgent.

«Les choses vont aller très vite»

Le texte autorise surtout aussi les forces françaises en RCA à «prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la MISCA dans l'accomplissement de son mandat».

La MISCA doit compter jusqu'à 3600 hommes, mais n'en rassemble pour l'instant que 2500, mal équipés et entraînés.

Le contingent français, dont plus de 600 hommes sont déjà sur place, sera chargé notamment de sécuriser l'aéroport de Bangui et les principaux axes par où transiteront les convois humanitaires.

«Dès que le président de la République (François Hollande) aura donné le top, les choses vont aller très vite», a souligné M. Fabius, se félicitant de la tenue vendredi et samedi à Paris d'un sommet franco-africain sur la paix et la sécurité en Afrique.

Le vote de l'ONU intervient aussi après un nouveau massacre près de Bangui où au moins 12 civils, des éleveurs peuls musulmans, ont été tués à la machette par des milices formées essentiellement de chrétiens dans la nuit de lundi à mardi.

«La sécurisation de Bangui peut se faire très rapidement, mais il faudra aller en province», où se déroulent les massacres sans témoins, a estimé M. Tiangaye.

«Ces attaques contre la population civile de Centrafrique prouvent qu'il y a urgence», a souligné mercredi l'ambassadeur français à l'ONU Gérard Araud. «Il nous fallait une résolution, nous allons l'avoir demain».

La résolution est placée sous le chapitre 7 de la Charte de l'ONU qui prévoit le recours à la force, la situation en RCA «représentant une menace à la paix et la sécurité internationales».

Elle demande au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon des recommandations dans les trois mois pour «une transformation éventuelle de la MISCA en opération de maintien de la paix de l'ONU».

Cette transformation demandera une nouvelle décision du Conseil dont certains membres rechignent à lancer d'emblée l'ONU dans une nouvelle opération complexe et dangereuse en Afrique, quelques mois après le déploiement de 6000 Casques bleus au Mali.

La résolution prévoit également une commission d'enquête sur les droits de l'homme ainsi qu'un embargo sur les armes à destination de la RCA.

Le Conseil exige enfin des élections législatives et présidentielle «libres et équitables», qui doivent en principe se tenir avant février 2015.