À la recherche de corps et d'éventuels explosifs, les secours fouillaient mercredi les décombres du Westgate de Nairobi, au premier jour du deuil national décrété après l'attaque terroriste du centre commercial.

La fusillade meurtrière, revendiquée par les shebab, est un avertissement au Kenya, dont les troupes sont présentes depuis fin 2011 en Somalie, et aux Occidentaux qui le soutiennent, a déclaré mercredi soir le chef des insurgés islamistes somaliens, Ahmed Abdi Godane.

C'était «un message aux Occidentaux qui ont soutenu l'invasion kényane» en Somalie, a déclaré Ahmed Abdi Godane dans un message transmis à l'AFP, avertissant le Kenya : «Retirez vos troupes des États islamiques ou préparez-vous à d'autres bains de sang».

Plusieurs pays - Royaume-Uni, États-Unis, Israël, Allemagne et Canada - participent à l'enquête sur le Westgate, qui «durera au moins une semaine», selon le ministre de l'Intérieur, Joseph Ole Lenku.

Pendant le siège, Israël, les États-Unis et le Royaume-Uni avaient soutenu les forces kényanes sans intervenir directement. Selon une source sécuritaire, des Israéliens étaient présents dans le bâtiment.

L'assaut lancé samedi a coûté la vie à au moins 61 civils, six membres des forces de sécurité kényanes et cinq assaillants. Environ 240 personnes ont également été blessées.

Un deuil national de trois jours a été décrété à partir de mercredi, et les drapeaux ont été mis en berne.

Il s'agit de l'attaque la plus meurtrière dans la capitale kényane depuis l'attentat-suicide d'Al-Qaïda en août 1998 contre l'ambassade des États-Unis, qui avait fait plus de 200 morts.

Le bilan devrait encore s'alourdir : le centre commercial s'est partiellement effondré mardi - une source sécuritaire et un pompier ont expliqué que la structure avait sans doute été fragilisée par un incendie lundi. Et 71 personnes sont toujours portées disparues.

Sur place, secouristes et soldats, à la recherche d'autres corps, portent masques et foulards pour se protéger de l'odeur pestilentielle qui émane des décombres.

Se voulant toutefois rassurant, le ministre de l'Intérieur a affirmé qu'il ne restait qu'un «nombre peu important de corps» ensevelis.

Sur Twitter, les shebab ont affirmé que «137 otages» détenus par les assaillants avaient péri, accusant les Kényans d'avoir utilisé «des gaz» pour mettre fin au siège.

Et «pour couvrir ses crimes, le gouvernement kényan a provoqué l'effondrement du bâtiment, enfouissant les preuves et tous les otages sous les décombres», ont-ils ajouté.

Depuis l'aube mercredi, des experts en explosifs aidés de robots téléguidés s'affairaient dans le luxueux centre commercial dévasté par les balles, les explosions et les flammes, vérifiant qu'aucune bombe n'a été placée par les islamistes.

Des chiens renifleurs recherchaient également bombes et cadavres.

Corps en décomposition

Un soldat ayant pénétré mardi dans le bâtiment, aux dernières heures des affrontements, a raconté qu'il y avait alors «du sang partout». «Des corps étaient brûlés et d'autres en état de putréfaction».

«Les corps qui sont encore à l'intérieur du centre commercial devront être identifiés à partir de photos», a confié une responsable de la Croix-Rouge.

Le président kényan Uhuru Kenyatta avait annoncé mardi soir la fin du siège, après presque 80 heures.

Le commando, composé de 10 à 15 personnes, selon les autorités, avait pénétré samedi à la mi-journée dans le Westgate, lançant des grenades et tirant à l'arme automatique sur les employés et la foule de Kényans et d'expatriés - 16 d'entre eux au moins sont morts - avant de s'y barricader avec des otages.

Ont suivi une série d'assauts pour les déloger. Selon un membre des forces spéciales kényanes, les opérations ont tourné à la partie de «cache-cache» avec les islamistes, aidés par la configuration des lieux, constitués de magasins et de restaurants répartis sur quatre étages dans des galeries donnant sur un grand hall central ouvert.

Outre les cinq islamistes abattus, d'autres sont peut-être ensevelis sous les débris avec des otages. On ignorait mercredi si certains avaient pu s'enfuir.

Onze suspects ont par ailleurs été arrêtés, selon Uhuru Kenyatta, qui n'a donné aucune précision.

Dès samedi, les shebab avaient dit agir en représailles à l'intervention de l'armée kényane en Somalie et menacé de frapper encore plus fort si le Kenya ne se retirait pas. Le contingent kényan est intégré depuis mi-2012 à la Force de l'Union africaine en Somalie, financée par la communauté internationale.

Des complices à l'intérieur?

L'identité des membres du commando reste controversée. Des rumeurs ont circulé sur la présence dans le groupe de combattants étrangers, notamment américains et britanniques.

Ni Uhuru Kenyatta, ni le ministre de l'Intérieur n'ont confirmé la participation de Britanniques ou d'Américains.

Des responsables américains, cités mercredi par le New York Times, ont affirmé que les shebab avaient caché des armes dans le Westgate longtemps avant leur opération et qu'ils disposaient de complices à l'intérieur. Les autorités kényanes n'ont donné aucune information sur ces différents points.

Après avoir contrôlé près de 70% de la Somalie en 2009, les shebab ont depuis lors été chassés de Mogadiscio par une force africaine et repoussés vers les zones rurales du Sud. Aujourd'hui sur le déclin, ils ont tenté de recruter en Occident des volontaires au jihad mondial, essentiellement dans la diaspora somalienne en Europe du Nord et aux États-Unis.

À Nairobi où vivent de nombreux expatriés, le Westgate était régulièrement cité par les sociétés de sécurité comme une cible possible de groupes liés à Al-Qaïda - comme les shebab.

La police kényane a renforcé sa vigilance dans les principales villes et aux frontières. Cependant, une personne est morte mercredi soir dans l'explosion d'une grenade sur un marché de la localité  instable de Wajir, dans le nord-est du Kenya, près de la frontière somalienne, selon le ministère de l'Intérieur.

La classe politique n'a eu de cesse d'appeler à l'unité pendant la crise. L'attaque du Westgate pourrait cependant relancer les tensions politico-religieuses au Kenya entre chrétiens, largement majoritaires, et musulmans, dont une grande partie est d'origine somalienne.