Le procès pour crimes contre l'humanité du vice-président kényan William Ruto s'est ouvert mardi à La Haye devant la Cour pénale internationale, premier procès de la CPI contre un haut dirigeant en fonction.

«Bienvenue à tous», a déclaré le juge Chile Eboe-Osuji à l'ouverture de l'audience, vers 9 h 30 heure locale (3 h 30 à Montréal), avant d'inviter les parties à se présenter.

Vêtu d'un costume gris légèrement foncé, d'une chemise claire et d'une cravate rouge aux rayures blanches, M. Ruto, 46 ans, était assis à la droite des juges, derrière son avocat Karim Khan.

Son co-accusé, l'animateur de radio Joshua Arap Sang, était lui aussi à l'audience. Ils comparaissent libres.

William Ruto est accusé d'avoir fomenté certaines des violences politico-ethniques qui ont meurtri le Kenya après la réélection contestée du président Mwai Kibaki fin décembre 2007, faisant un millier de morts et plus de 600 000 déplacés.

Avec son co-accusé ils doivent répondre de trois crimes contre l'humanité : meurtres, persécutions et déportations. Ils plaident non coupables.

Le président kényan Uhuru Kenyatta est lui aussi accusé de crimes contre l'humanité par la CPI. Son procès, le premier de la Cour contre un chef d'État en fonction, doit débuter le 12 novembre.

Une vingtaine de députés kényans et autres partisans des accusés avaient fait le déplacement jusqu'à La Haye pour les soutenir et les saluer à leur arrivée à la Cour.

«Je suis un journaliste innocent», a assuré M. Sang aux journalistes à son arrivée à la CPI : «je n'ai pas contribué aux violences au Kenya, mais à la paix».

Arrivé quelques minutes plus tôt en compagnie de son avocat, M. Ruto ne s'est pas adressé à la presse.

«Nous sommes prêts, nous nous réjouissons à l'idée de débuter le procès», a pour sa part déclaré Me Khan aux journalistes.

Le procès s'ouvre quelques jours à peine après l'adoption par les députés kényans d'un texte proposant de quitter le Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour, accusée d'être une institution «néo-colonialiste».

Les huit enquêtes que mène actuellement la Cour visent toutes des pays africains, ce qui lui vaut des critiques virulentes, notamment de l'Union africaine.

Le vote des députés kényans, largement symbolique, n'aura aucune influence sur les procédures en cours. Mais il constitue une première depuis l'entrée en fonction de la CPI en 2003 et certains craignent qu'il ne marque le début d'un exode des États africains parties au Statut de Rome.

La procureure de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, poursuit des membres des deux clans qui se sont affrontés lors des heurts politico-ethniques de 2007-2008 : le Parti pour l'unité nationale (PNU) de Mwai Kibaki et le Mouvement démocratique orange (ODM).

Du côté de l'ODM, William Ruto est accusé d'avoir pris la tête d'une organisation criminelle en vue d'évincer les partisans du PNU de la vallée du Rift. Joshua Arap Sang est accusé d'avoir contribué à ces crimes en «attisant les violences par la diffusion de messages de haine».

Du côté du PNU, Uhuru Kenyatta est soupçonné d'avoir, en réaction, conçu et mis en oeuvre un «plan commun» d'attaques généralisées et systématiques contre des partisans de l'ODM.

L'affaire a été marquée par de nombreuses accusations d'intimidations de témoins, des intimidations imputées au gouvernement kényan. La défense de M. Ruto a nié avoir tenté d'influencer des témoins.

Le chef de l'État et son vice-président, rivaux d'alors devenus alliés politiques, se sont engagés à coopérer avec la CPI, mais M. Kenyatta avait averti dimanche qu'il était impossible que les deux têtes de l'exécutif se trouvent ensemble hors du Kenya.

Les juges de M. Ruto ont indiqué lundi qu'ils siègeraient par périodes de quatre semaines au minimum consacrées à chaque fois à un seul des deux procès.

L'ONG Amnistie Internationale a soutenu que l'ouverture du procès représentait «une opportunité importante en vue de mettre fin à l'impunité pour les crimes graves commis en 2007/2008». Certains Kényans craignent néanmoins que les procès ne rouvrent des blessures et ne fassent ressurgir les ressentiments entre communautés.