Charles Dadié, mieux connu sous le pseudonyme de Chaba Théo, a eu le flash dans un embouteillage. Au bout du fil, sa femme lui annonce un autre «délestage», une coupure d'électricité planifiée qui peut durer plusieurs heures.

«J'avais besoin de me défouler.» Et pour le dessinateur ivoirien de 37 ans, fervent amateur de superhéros, son défoulement, c'est devenu Délestron, un supervilain masqué de noir qui est aujourd'hui l'incarnation des coupures d'électricité quotidiennes en Côte d'Ivoire et au-delà. Le personnage et ses commentaires acerbes ont connu un succès instantané, dépassant les 5000 mentions «j'aime» sur Facebook.

L'initiative était ciblée puisque la Compagnie ivoirienne d'électricité (CIE) avait déjà lancé une campagne publicitaire avec deux super-héros loufoques, bedonnants et vêtus de lycra. Devant la popularité de Délestron, la CIE a répliqué en créant encore un autre personnage de bande dessinée : Electra, une héroïne qui apporte la lumière. C'est ainsi qu'est née la guerre des superhéros électriques dans le pays.

M. Dadié est le premier surpris de la popularité de son personnage. «Les Ivoiriens se sont approprié Délestron. Mais le constat reste le même : on veut que la CIE nous donne de l'électricité, pas une campagne de communication», dit-il.

En Côte d'Ivoire, la bande dessinée locale fait sensation dans les kiosques à journaux et dans les librairies. Mais même si Délestron est représentatif de l'humour décapant des Ivoiriens, le personnage est devenu célèbre partout en Afrique francophone où les réseaux sociaux suivent ses traces, de Douala à Bamako.

Pas de quoi rire

En Afrique de l'Ouest, les coupures d'électricités sont quotidiennes : parfois programmées pour alléger les réseaux en période de pointe, mais parfois chaotiques, comme le black-out qui a frappé Abidjan en mai dernier. À ce moment, Adama Toungara, ministre ivoirien des Mines, de l'Énergie et du Pétrole s'était défendu en relevant que le temps de coupure total, en 2012, était de 42 heures contre 65 heures dans les villes du Ghana voisin et 104 heures dans les zones rurales. Il atteindrait 588 heures au Sénégal, où les coupures ont entraîné de violentes émeutes en 2011.

Ces chiffres témoignent du fait que l'Afrique fait face à une grave pénurie d'électricité. Pour toute la zone subsaharienne, excluant l'Afrique du Sud, la capacité de production électrique n'est que de 28 gigawatts, soit environ le cinquième de la production canadienne pour plus de 25 fois la population.

Selon la Banque Mondiale, seulement 24 % des habitants auraient accès à l'électricité. Et les réseaux, mal entretenus, entraînent une perte moyenne de 20 % de la production. La dépendance aux centrales aux hydrocarbures, elle, fait exploser les prix payés par le consommateur, soit près du double de la moyenne nationale.

Pas de chômage pour Délestron

L'accès à l'électricité a fait l'objet d'une des plus importantes annonces du président américain Barack Obama lors de sa tournée dans trois pays africains, qui s'est terminée le 3 juillet en Tanzanie : sept milliards de dollars seront consacrés au programme " Power Africa " en vue de doubler la capacité électrique du continent.