L'armée a tiré «sur tout le monde, même sur les animaux», lors d'une opération meurtrière menée en avril à Baga, dans le nord-est du Nigeria, dénonce un rapport de la police cité dimanche par la Commission nigériane des droits de l'homme.

Les soldats ont aussi brûlé intégralement cinq quartiers de la localité au cours du raid effectué en représailles au meurtre d'un de leurs collègues, ajoute le rapport citant toujours la police.

Le 16 avril, 187 personnes selon la Croix Rouge, 228 selon un sénateur, dont de nombreux civils, avaient trouvé la mort dans des combats entre l'armée et des membres présumés du groupe islamiste Boko Haram, à Baga, sur les rives du lac Tchad.

L'armée a fait état de 37 morts, 30 islamistes, six civils et un soldat. Elle avait nié avoir mis le feu à des quartiers, déclarant que les incendies avaient été causés par les islamistes lors de l'intervention qui a pu se prolonger le 17 avril.

Le rapport de la police auquel fait référence la commission des droits de l'homme n'avait encore jamais été rendu public.

Selon le rapport de la commission, dont l'AFP a reçu une copie, la police mentionne aussi 37 morts, sans dire si les victimes étaient ou non des civils.

La commission note que le meurtre d'un soldat à l'origine du raid est «l'une des provocations aux conséquences fatales attribuées à (Boko Haram) qui ont pu inspirer ou inviter à une réponse ferme» de l'armée.

Selon la police citée par la commission, les soldats arrivés après la mort de leur camarade «ont commencé à tirer de manière aveugle sur tout le monde, y compris les animaux domestiques».

«Cette réaction a entraîné la perte de vies et la destruction massive de biens», poursuit le texte.

État d'urgence

«Dans son propre rapport, la police dit qu'au moins cinq quartiers, Bulabulin, Bayan Tasha, Panpan Gajagaja, Adam Kolo et Bagadaza, ont été complètement rasés par l'armée», ajoute la commission.

Le général Chris Olukolade, porte-parole des armées, a déclaré à l'AFP que l'armée restait sur son précédent compte-rendu. Il a estimé que les déclarations de la police citées différaient des échanges qui ont eu lieu entre la police et l'armée, mais il n'a pas voulu entrer dans les détails.

Un porte-parole de la police a déclaré quant à lui douter de l'authenticité des conclusions de la police mentionnées, mais n'a pas voulu commenter le rapport, n'en ayant pas encore pris connaissance.

Le rapport sur les incidents de Baga et sur l'insécurité dans le nord-est n'incrimine personne en particulier, la commission n'ayant pu se rendre sur place pour des raisons de sécurité.

Les réseaux de téléphonie mobile sont coupés dans la majeure partie de la région depuis le début d'une vaste opération de l'armée, le 15 mai, destinée à mettre fin à l'insurrection sanglante de Boko Haram qui dure depuis quatre ans.

Le rapport - considéré comme non définitif notamment à cause de ces difficultés - compile donc différentes versions des faits et formule un certain nombre de recommandations.

Selon la commission, les soldats impliqués à Baga faisaient partie d'une force multinationale qui réunit le Nigeria, le Niger et le Tchad, dont les frontières se rejoignent.

Mais seuls des soldats nigérians étaient censés intervenir dans cette zone, les autres pays ne coopérant qu'au niveau de l'échange d'informations notamment, a expliqué Chidi Odinkalu, chef de la commission des droits de l'homme, joint par l'AFP.

Les violences de Baga font partie d'une série d'incidents qui ont poussé le président nigérian Goodluck Jonathan à déclarer le 14 mai l'état d'urgence dans trois États du nord-est, dont celui de Borno, considéré comme le fief historique de Boko Haram, où se trouve Baga.

La commission considère que Boko Haram «avait une présence active ou dominante» dans 12 des 27 districts concernés par l'état d'urgence.

Depuis, l'armée nigériane affirme avoir repoussé avec les islamistes, mais cela n'a pu être confirmé de façon indépendante. Aucun bilan des victimes n'a été publié par l'armée dont le succès pourrait n'être que temporaire, comme le laissent penser deux attaques récentes visant des écoles où 16 élèves et deux professeurs ont été tués.

Au-delà de Baga, la commission s'inquiète des «nombreuses» accusations de détentions extrajudiciaires de suspects liés à l'insurrection.

Le rapport de la commission fait état d'accusations d'exécutions sommaires, de torture et de viols. Les organisations de défense des droits de l'homme ont déjà mentionné de tels actes par le passé.

«Il n'y a aucune accusation crédible contre nos hommes», a rétorqué M. Olukolade à l'AFP.