Des voitures brûlées, des détritus dispersés et des questions sans réponses: voilà tout ce qu'il reste d'un grand camp installé, selon l'armée nigériane, par les insurgés islamistes de Boko Haram dans un endroit poussiéreux et isolé du nord-est du pays, près du village de Kirenowa.

Plus de trois semaines après le début d'une vaste offensive de l'armée pour mettre fin à l'insurrection meurtrière de Boko Haram, les autorités nigérianes font état de succès importants, mais la réalité des faits est difficile à établir.

Elles ont démenti que des civils aient été tués, sans fournir la moindre précision, y compris chiffrée, sur d'éventuelles victimes.

Des soldats ont affirmé que des membres de Boko Haram s'étaient «dispersés» dans des zones d'où l'armée les a chassés, mais ils se sont montrés incapables de dire où, se contentant d'indiquer que «des centaines» d'insurgés ont été arrêtés.

Des milliers d'habitants de la région ont fui au Niger et au Cameroun voisins. Plusieurs d'entre eux affirment que des soldats ont tué à l'aveugle des civils dans des raids antérieurs au début de l'offensive le 15 mai. L'armée dément avoir commis ces violences.

Les lignes de téléphones portables ont été coupées dans une grande partie du Nord-Est depuis cette date et une visite indépendante dans les zones reculées est quasiment impossible.

Des journalistes ont récemment visité le «camp» d'où l'armée affirme avoir chassé Boko Haram, près de Kirenowa (État de Borno), dans le cadre d'un voyage organisé par les autorités militaires.

Ils ont parcouru le Nord-Est semi-désert où des acacias, des arbustes et quelques villages formés de maisons en briques au toit de chaume, ponctuent un paysage plat et sec.

Des responsables militaires ont de temps à autre fourni des détails contradictoires sur les opérations,  suscitant de nouvelles questions.

En 2009, le Nigeria avait lancé contre Boko Haram une offensive brutale qui avait fait quelque 800 morts et contraint le groupe à plonger dans la clandestinité pendant plus d'un an. Mais il a ressurgi en lançant des attaques encore plus meurtrières.

«Cette fois, il s'agit d'une opération de sécurité globale qui n'a pas impliqué seulement l'armée, mais aussi d'autres  forces de sécurité du pays», a déclaré jeudi un porte-parole des armées, le général Chris Olukolade.

«L'opération a été conçue pour faire en sorte que leurs bases soient démantelées, voire complètement anéanties», a-t-il dit.

La carotte et le bâton

Mais certains ont émis des doutes sur la possibilité que cette offensive puisse conduire à une paix durable.

«L'armée chinoise tout entière ne peut pas résoudre ce problème», a estimé Bulama Mali Gubio, porte-parole d'un influent forum d'anciens de l'Etat de Borno, berceau de Boko Haram.

Une série d'opérations particulièrement meurtrières ont conduit le président Goodluck Jonathan a décréter le 14 mai l'état d'urgence dans trois États du Nord-Est (Borno, Yobe, Adamawa).

En avril, l'armée a été accusée de graves exactions après la mort de près de 200 personnes, selon la Croix-Rouge, dans la ville de Baga (Borno). Des habitants ont affirmé que des soldats ont tué des civils et mis le feu à une grande partie de la localité.

L'armée n'a reconnu que 37 tués dans les affrontements.

Le 7 mai, dans une autre ville de l'État de Borno, Bama, des insurgés déguisés en militaires ont attaqué une prison et des bâtiments publics, faisant 55 morts.

À Bama aussi, l'armée a été accusée d'abus.

Ali Elhadji, 56 ans, de retour à Gancé, le village de ses parents au Cameroun, a raconté que Boko Haram a répandu la violence à Bama et que les soldats ont répliqué avec brutalité.

Les soldats sont arrivés plusieurs semaines avant le 15 mai et «ont tué tous ceux qui paraissaient jeunes et qu'ils croisaient dans les rues», a-t-il déclaré à l'AFP. «Ils ont tué de nombreux innocents».

De leur côté, les attentats suicides et attaques à la bombe de Boko Haram ont fait des centaines de morts.

Selon le président Jonathan, le groupe avait pris le contrôle de plusieurs zones dans le Nord-Est.

Il avait même hissé son propre drapeau dans la zone de Marte (Borno), selon des soldats.

L'armée est accusée de procéder à des exécutions extrajudiciaires et des arrestations arbitraires.

Des diplomates et des analystes disent depuis longtemps qu'une solution purement militaire ne parviendra pas à régler le problème sans s'attaquer au grave sous-développement du nord du pays.

Le gouvernement a semblé plus récemment manier à la fois la carotte et le bâton. Tout en poursuivant son offensive militaire, il a formé un groupe chargé d'étudier la possibilité d'une amnistie.

Et il a récemment annoncé la libération de 58 femmes et enfants liés à l'insurrection menée par Boko Haram.

Mais avec une offensive militaire qui se poursuit, il est difficile de mesurer l'impact de telles mesures.

Selon l'ONG Human Rights Watch (HRW), le conflit a fait 3600 morts depuis 2009 dans ce pays divisé entre un Nord majoritairement musulman et un Sud à dominante chrétienne.