Il y a un an à Nairobi, dans le bidonville de Kibera comme dans les cafés du centre-ville, personne ne donnait bien cher de la peau d'Uhuru Kenyatta.

Fils du premier président du Kenya indépendant, Jomo Kenyatta, il venait d'être accusé de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale pour son rôle dans les violences postélectorales qui ont fait plus de 1000 morts et 600 000 déplacés en 2007 et 2008. Sa fortune colossale et son nom de famille ne pesaient pas très lourd devant la justice internationale. Plusieurs espéraient que son procès marquerait la fin de l'impunité dans un pays où l'élite politique en mène large.

Aujourd'hui, les habitants de Nairobi qui voulaient le voir en prison ravalent leur salive: Uhuru Kenyatta a remporté l'élection présidentielle de lundi dernier. En un seul tour de scrutin, l'homme de 51 ans a amassé 50,07% des voix, selon la commission électorale qui l'a déclaré vainqueur samedi dernier. Ces résultats sont contestés devant les tribunaux par le premier ministre sortant, Raila Odinga.

Victime de l'Occident

Que s'est-il passé? Comment l'inculpé a-t-il pu être élu président? «Au lieu de lui nuire, les accusations de la Cour pénale internationale (CPI) ont aidé Kenyatta à se faire élire. Il a clamé haut et fort que l'Occident était contre lui et ça a aidé à galvaniser ses partisans», explique Abdullahi Boru, un analyste pour l'International Crisis Group qui a assisté à l'élection kényane. «Il a réussi à se donner le rôle de la victime», note l'ex-journaliste kényan, joint à New York hier, en rappelant que le partenaire de campagne d'Uhuru Kenyatta, William Ruto, est l'autre principal accusé de la CPI.

Pour faire entendre sa version des faits et dénoncer l'intervention occidentale dans l'élection, Uharu Kenyatta n'a pas trop eu de mal. Avec une fortune estimée à 500 millions, l'homme le plus riche du Kenya, diplômé du collège Amherst, aux États-Unis, est propriétaire d'une des plus grandes chaînes de télévision du Kenya, K24, d'un journal et de plusieurs stations de radio.

Dans ses médias et en campagne, Kenyatta a pu faire le parallèle entre son père, qui avait fait face à la justice occidentale après avoir été l'un des leaders de la rébellion des Mau-Mau contre le pouvoir colonial britannique, dans les années 50, et lui.

Bédéiste bien connu à Nairobi, Chief Nyamweya ne croit pas que les Kényans aient choisi Kenyatta par désinformation. «Tout le monde savait très bien qui ils élisaient. Les débats ont été féroces entre les candidats rivaux. La question était de savoir qui, parmi les candidats, allait le moins faire de tort aux Kényans. Beaucoup pensent que Kenyatta s'en tirera mieux avec l'économie», note-t-il, cynique.

Un point d'interrogation plane cependant au-dessus des têtes kényanes. S'il est confirmé président, comment Uhuru Kenyatta pourra-t-il diriger le pays tout en faisant face à la Cour pénale internationale? À cette question, personne n'a de réponse pour le moment.